Au gré du vent
Que dire de ce film... Une œuvre surprenante, à l'image du cinéma humble et sensible de Hou Hsiao Hsien. Poussières dans le vent, c'est l'histoire d'un garçon et d'une fille, Wan et Huen, dans un...
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le 6 juil. 2016
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Je ne connais Hou Hsiao-Hsien que par The Assassin, (et un visionnage de Goodbye south, Goodbye qui date de huit ans). Je m'attaque alors à ses oeuvres de "jeunesse" de la nouvelle vague taïwanaise, ayant été complètement subjugué par The Assassin. C'est l'occasion pour moi de découvrir tout un pan du cinéma qui m'est totalement inconnu.
Et si le film est bien entendu très différent de The Assassin, il n'en reste pas moins que Hou Hsiao-Hsien est un metteur en scène extraordinaire ! Son cinéma est totalement envoûtant, c'est assez ahurissant à quel point je me sens envoûté et même hypnotisé devant ses films. C'est d'une beauté sans nom, une beauté qui ne cherche pas à être belle ici, une beauté qui émane d'une force supérieure, c'est une expérience grandiose que nous propose Hou Hsiao-Hsien. L'architecture du plan dans ce film est extraordinaire !
J'ai adoré le déroulement de l'oeuvre, sa narration, le fait que Hou Hsiao-Hsien laisse vivre ses personnages, qu'il y ait de multiples chassés-croisés sans intrigue générale guidant le film, tout cela m'a franchement plu, même si j’ai parfois eu un peu de mal à discerner qui était véritablement qui (dans leurs rapports et non dans leur reconnaissance faciale, je précise). Cela m'avait déjà fait cela lors de mon visionnage de The Assassin, mais c'était alors plus prononcé vu que c'était un film d'époque. Mais même ici, j'ai parfois ressenti cela, notamment lors du premier tiers du film on va dire, la sensation de me demander : qu'est-ce qui unit véritablement tel personnage avec tel personnage finalement ? Mais au fur et à mesure que le film avance, on comprend mieux. Et cela participe d'autant plus au côté hypnotique du film.
C'est un film qui traite en tout cas de beaucoup de choses, et surtout du milieu rural et de la jeunesse. Hou Hsiao-Hsien nous plonge dans ce village taïwanais, où naviguent des petites gens, des jeunes en crise, des personnages âgées nostalgiques ou meurtries par un passé difficile (mais un passé tout de même, là où la jeunesse ne semble même pas en avoir). Hou Hsiao-Hsien examine ces gens, leur comportement, à l'aune d'une situation sociale plutôt compliquée. Il examine notamment ce groupe de jeunes, car ce sont sur ces personnages là que s'arrêtent le plus le réalisateur. Il nous parle de cette jeunesse inquiète, de cette jeunesse en pleine quête identitaire. Et c'est tout le cinéma que j'aime : s'attacher comme cela à à une thématique dénuée de véritable intrigue. Je dirais même que le lieu semble alors dépassé l'intrigue (à l'instar du Sandra de Visconti, film qui n'a rien à voir cependant, mais où le manoir est le véritable personnage principal de l'oeuvre finalement, et dicte la narration du film). J'ai particulièrement adoré la B.O ! Ces simples airs de guitare soulignant une possible errance des personnages... une errance identitaire justement, une errance interne. Ce sont des thèmes discrets, mais jolis, renforçant la beauté de certaines scènes, car Hou Hsiao-Hsien n’en abuse pas. Il y a une utilisation musicale toute wendersienne, que ce soit dans son utilisation suffisamment présente pour que le spectateur s'imprègne de ce que le réalisateur expose et en même temps suffisamment discrète pour que la mise en scène ne tombe jamais dans une certaine lourdeur ; mais c'est également wendersien dans sa tonalité et dans ce qu’elle dit de ses personnages. Si culturellement, les films sont totalement éloignés, Poussières dans le vent m'a un peu rappelé Alice dans les villes, où l’errance liée au voyage se double d’une errance intellectuelle et identitaire. Exactement comme dans ce film, finalement. Car à mon sens, ce film traite de cette errance intellectuelle d'une jeunesse tourmentée. Cela est notamment souligné lors de cette scène de pot de départ, où ces jeunes se mettent à chanter, un chant sur l’errance justement. Même si cela concernait un voyage, le chant semble directement faire écho à ces jeunes qui la chantent. Et le voyage lui-même fait écho à ces jeunes, puisque certains veulent partir, se sentent bridés par la vie monotone de ce village taïwanais rural. On y voit une jeunesse qui veut partir, ou du moins, qui ne veut pas rentrer (je pense à cette très belle scène du train, et la discussion qui s’en suit avec cette femme qui elle, se sent prête à rester). Il y a toute une jeunesse qui n’arrive pas à savoir d’où elle vient. Et qui navigue entre le besoin d'ailleurs, et le besoin du retour. Ce film, c'est à la fois L'Énéide (le départ, la fuite), et à la fois L'Odyssée (le temps d'un retour).
Et si Hou Hsiao-Hsien se focalise sur une jeunesse perdue, il rend également hommage aux anciens pourrait-on dire ! Ce sont eux qui guident encore le village, eux qui conseillent la jeunesse ou la remettent dans le droit chemin, ce sont eux les garants du village quelque part, mais ce sont eux qui sont les contemplateurs d’un monde qui change. Eux veulent entretenir une certaine tradition, eux rendent hommage à leurs ancêtres, eux semblent encore ancrés dans l’ancien monde, mais avec une sagesse honorable. Mais le monde change ; cela ne préoccupe pas cette jeunesse, qui a besoin d’autre chose, mais pas de traditions « totémiques ». Film nostalgique ? Un peu, certainement… On pourrait cependant appréhender le film à l'inverse ; la nostalgie des anciens brideraient alors la jeunesse qui a besoin de projection que l'on ne leur offre pas. Et on pourrait même le voir d'une autre façon : le mal d'histoire dont souffre cette population la pousse à se créer une nostalgie pour se sentir vivre. Je ne sais pas si c'est un film nostalgique, mais c'est indéniablement un film sur la nostalgie. Le réalisateur traite en tout cas son sujet avec brio. Car c'est beau ce qu'entreprend Hou Hsiao-Hsien dans ce film ; forme de déclaration d'amour à sa patrie, se doublant d'une exposition d'une certaine décadence, d'une souffrance terrible pour une jeunesse perdue. C'est aussi bien un film d'hommage qu'un film social. Et c’est là aussi que je me dis que mes connaissances historiques sont extrêmement lacunaires concernant cette partie du monde ; avoir des repères socio-historiques du Taïwan d’après guerre doit forcément permettre de voir le film autrement, de comprendre plus de choses. Et du coup j’ai été un poil moins emballé par le dernier tiers du film, que l’on suit à l’armée, pendant le service d’un des jeunes du village dont j’ai oublié le nom. Cela n’en reste pas moins une partie fortement intéressante, particulièrement bien réalisée, mais mon manque de repères a certainement desservi le visionnage. A moi de rectifier le tir ! Quant aux dialogues épistolaires qui s’ensuivent entre lui et le village (notamment cette fille), ils étaient très beaux, touchants, ils semblaient si justes. Et le dénouement final est déchirant. Il y a dans cette fin l’un des plus beaux travelling que j’ai pu voir au cinéma, c’était absolument grandiose.
Dans un film profondément homérique, Hou Hsiao-Hsien nous propose une ballade taïwanaise à l’aune d’une jeunesse en mal d’histoire. Grand film.
Créée
le 1 févr. 2020
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