De toute évidence, Préjudice est un film déstabilisant, et donc en soi intéressant. En premier lieu, je reconnais avoir adopté une posture de rejet total devant la vanité, aussi bien esthétique que verbale, des trente premières minutes et la désagréable impression que l'étalonnage du film n'avait pas été fait (comprenez : couleurs moches, grisâtres, et même problème de point).
Puis au fur et à mesure que le film progresse dans ses conflits, j'ai commencé à me dire qu'il était plus profond et subtil qu'il n'y paraissait. Qu'il mettait mal à l'aise face à de tels personnages désagréables pour une raison : pour remettre en question notre vision de la normalité, du rejet, de la folie, le film allant contre une vision manichéiste des rapports sociaux. Il n'y a pas de personnage ayant complètement raison ou complètement tort, sans reproches ou fautifs de cette ambiance morose. Au fond, le film ne livre aucune clé, et laisse libre chaque spectateur de faire sa propre idée, ce qui est une bonne chose.
Sauf que derrière l'idée même du film, je ne peux m'empêcher de trouver que les personnages et la mise en scène comportent une part d'esbroufe gênante. Au niveau de la mise en scène, c'est flagrant notamment pour ce plan fixe sous la pluie filmé au ralenti, même si force est de reconnaître que certains autres choix de mise au point sont intéressants et font sens. Quant aux personnages, en soi ils sont crédibles dans leur extrémité de caractère (et quand bien même ils ne paraîtraient pas crédibles, leur force métaphorique est tout aussi porteuse). Mais la situation générale et certaines de leurs réactions paraissent forcées, et donc cessent de nous faire interroger pour ne laisser qu'un dégoût amer. A force de surenchère, la révulsion prend le pas sur la réflexion.
Bien sûr, la révulsion peut comporter de la réflexion, à condition que le spectateur fasse un effort minimum de remise en question, et le film est particulièrement exigeant à ce niveau-là pour pouvoir l'apprécier. Sauf qu'ici, sans empathie pour les personnages ni force dénonciatrice qui dévasterait tout sur son passage, le film d'Antoine Cuypers n'est pas parvenu à me faire totalement dépasser cette impression de malaise pour faire du malaise. J'ai failli avoir de l'empathie à vrai dire pour le personnage de Cédric, car comme disait le réalisateur après la séance, qui n'a pas ressenti une forte sensation de rejet de la part d'autrui dans sa vie ? Sauf qu'il y a toujours eu quelque chose pour me retenir, une rage contenue en lui qui n'était pas pour moi cathartique mais plutôt comme étrangère, partiellement incompréhensible, révoltante même parfois.
Et puis il faut dire aussi que le film instaure une ambiance de secret de famille, de whodunnit presque, particulièrement hors de propos et abjecte car ne menant à rien. On s'interroge alors pendant la séance sur ce que peut bien cacher les personnages, s'il n'y a pas une vérité qui va apparaître à la fin du film. Si j'étais de mauvaise foi, je dirai qu'il s'agit là d'une manière pour le réalisateur de maintenir artificiellement l'intérêt du spectateur jusqu'à la fin, qui tarde d'ailleurs un peu à arriver.
Quelque part, mon ressenti est à l'image de la blague "des enfants et des pommes" à l'intérieur du film : on s'attend à quelque chose à l'arrivée, à quelque chose qui se cacherait sous la peau des personnages. Mais non, il n'y a que la peau. C'est à nous d'aller en-dessous, et ce n'est pas forcément aisé.