Entre « Je suis mort mais j’ai des amis », « Les premiers, les derniers » et en attendant « Belgica » ou « Les Ardennes », on peut dire sans complexe que le cinéma belge nous gâte ces derniers temps ! Et ce n’est pas « Préjudice » qui viendra ternir cet assentiment. Quel film !
Maison bourgeoise, repas de famille classique organisé en l’honneur de Caroline la fille pour son annonciation. Autour d’elle, histoire de fêter comme il se doit l’évènement, quelques convives, son mari le doux benêt, la mère aussi tendue que stressée, le père au mutisme presque autistique, Cyrielle la belle fille mal aimée et son petit garçon, Cédric le fils cadet semblant souffrir de troubles anxieux et accaparant toute l’attention, enfin un absent, momentanément, le fils aîné dont l’ aura plane. Un moment partagé, ultime couche de vernis sur le foyer avant la chute de la maison si chère.
Sur un timing très court (le temps d’une soirée), c’est tout le noyau familial qui va se déliter confronté en huis clos aux frasques de Cédric. Cet état de crise permettra également à chacun de se révéler, de retrouver, face à l’aura parental, au frère « malade » à l’autre frère toujours absent…, une liberté d’expression. Car si le personnage de Cédric est omniprésent et semble tout puissant, il n’est en fait qu’un catalyseur d’un profond malaise qui pèse depuis trop longtemps. A chacun de régler ses comptes.
On a du mal à imaginer que ce « Préjudice » soit un premier film tant Antoine Cuypers maitrise son sujet, ses acteurs et sa mise en scène. L’excellent scénario (co-écrit avec Antoine Wauters), nous embarque constamment sur des nombreuses fausses pistes (on ne sait jamais à quoi s’attendre) provoquant un malaise palpable et déroutant. Chaque acteur se donne à fond et le résultat est d’une incroyable justesse. Thomas Blanchard est sensationnel, Nathalie Baye redoutable (quelle actrice !) quant à Arno, Ariane Labed et Eric Caravaca, loin d’être des faire valoir, contribuent, par leur intensité de jeu à émulser le drame. Bien évidemment, quand on évolue dans une telle forme d’intelligence filmique, on ne peut qu’exceller.
Car techniquement, le film est quasi parfait (il y a un léger flottement à quelques scènes du final). Le sassage et l’originalité des plans autour de chaque personnage ou des situations imprègnent le récit d’une espèce d’étrangeté malsaine, tout autant que la photo plombée de Frédéric Noirhomme où l’empreinte musicale d’Ernst Reijseser et Francesco Pastacaldi.
Et si Cédric est fasciné par l’Autriche, Cuypers lui pourrait revendiquer une certaine filiation avec Haneke (ascétisme efficient), mais plus encore d’un Cassavetes (âpreté des sentiments). Une veine cinématographique pour le spectateur, car on peut espérer de voir couler à la suite de ce remarquable « Préjudice », bon nombre d’excellents films de son auteur.