(SAUF INDIFFERENCE AUX SPOILERS, NE PAS LIRE AVANT VISION DU FILM)
Choc absolu, Princesse Mononoké a de quoi retirer leur innocence à Mon voisin Totoro, Kiki la petit sorcière et au futur Ponyo sur la falaise, portraits de fillettes parmi les plus doux qu'ait signés Miyazaki. Un triptyque étonnant, le fantastique semblant y avoir passé un contrat tacite avec le réel, tous deux coexistant à la lisière d'une forêt, au cœur d'une petite ville ou aux limites d'un port. Cet équilibre, entériné par des créatures terriblement attachantes (Totoro lui-même, un chat parlant pour la jeune sorcière, puis la bouille irrésistible d'une petite sirène en herbe), a fait entrer le cinéma Miyazakien dans un optimisme rapidement associé à ses vertus écologiques.
Replacé dans ce contexte, Princesse Mononoké ressemble à un pacte ancestral, le sacrifice colossal et nécessaire pour ramener la paix entre les hommes et la faune, les deux camps transformant la flore et ses richesses en une arène sanglante. Les enfants n'ont d'ailleurs pas leur mot à dire ici, les tenants et aboutissants de l'intrigue étant régis par leurs aînés. Dévorés par un maléfice, ivres de sang ou en quête vorace de ressources naturelles, les personnages de Princesse Mononoké n'exhibent aucune perfection malgré leur volonté inflexible. Courant à leur perte ou se sachant condamnés, ils sont en lutte perpétuelle contre la mort de leurs idéaux.
Le dette pour que s'épanouissent les respirations apaisantes de Totoro, Kiki et Ponyo a ainsi été payée au prix fort. Fouillant les tripes et le cœur de son héroïne, incarnation vivace et tempétueuse de la colère d'un monde en ruines, Miyazaki ouvre et referme son histoire de façon incroyablement brutale. Depuis la mort atroce d'un sanglier en furie dévoré de l'intérieur, le Japonais déroule un récit où les conflits géographiques dictent les enjeux humains, jusqu'à une conclusion qui tourne le dos à la love story naissante entre Ashitaka et la Princesse. Une posture qui anoblit un peu plus la portée thématique d'un film où le vivant et le divin ne cessent de se côtoyer.
Car Princesse Mononoké donne la sensation rare d'explorer non pas les fondements du cinéma d'aventures, mais bel et bien l'Histoire de l'imaginaire, ce dernier devenant une notion tangible, palpable. Par la grâce d'un montage éreintant, car exceptionnel de célérité, le film donne tout son sens à la notion d'animisme. Si chaque créature vivante, qu'elle soit figée dans le décor ou en train de lutter sur un champ de bataille, semble habitée d'une âme, Miyazaki ne cesse de nous ramener à leur bouleversante condition organique. Ce faisant, il irrigue son récit d'une violence unique dans son œuvre.
La souffrance physique est ainsi abordée sans détour dans Princesse Mononoké. A vrai dire, ce traitement viscéral est presque trop abouti pour que la seconde moitié du film suive, rythmiquement parlant. A trop multiplier les faits d'armes parallèles, Miyazaki ne parvient pas à faire converger leur puissance éparse, et passe à côté d'un crescendo plus impliquant. L'avis n'engage que l'auteur de ces lignes, l'intelligence du spectacle culminant par ailleurs dans l'image d'une divinité bienveillante elle aussi mise à mal par son caractère organique. Terrifiant tableau d'apocalypse, ce géant décapité compte parmi ce que l'heroic fantasy a de plus évocateur à offrir sur grand écran...
Redécouvrir le film aujourd'hui, alors que le Maître a finalement tiré sa révérence après quinze ans de services supplémentaires, a quelque chose de délicieusement amer. Poème guerrier d'une hargne inouïe, l'oeuvre venait, en 1997, clore un siècle de cinéma d'aventures par une renaissance flamboyante. Désormais disponible dans une copie Blu-ray phénoménale, Princesse Mononoké y déploie des trésors que l'on jurerait inédits, la richesse des textures, des décors et des détails anthropomorphiques (voir ces gros plans nocturnes saisissants sur les visages des loups) trouvant un écho constamment renouvelé par la précision de la copie. Un écrin magnifique pour un film qui ne l'est pas moins.
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