Dès les premières minutes du film Ashitaka apparaît ; on comprend aisément qu'il est le protagoniste avec sa monture et ses allures de héros. Touché à l'avant bras par la malédiction d'un dieu maléfique, il est contraint de partir à l'Ouest dans l'espoir de vaincre le maléfice.
Pourtant, le titre du film met en avant un autre personnage - la Princesse Mononoké.
San est révélée par le regard d'Ashitaka. Le visage baignant dans le sang et le regard furieux, elle inspire la révolte, l’animosité à l’égard de l’homme. Seule, aux côtés des trois loups en pleine forêt, il est évident qu'elle joue un rôle d'opposition face à Dame Eboshi. En effet, San vit dans l’autre monde, celui de la forêt et des êtres spirituels et magiques tandis que Dame Eboshi surplombe le monde des forges ; vrai château dans lequel on transforme le minerai en fer - monde dans lequel les hommes se font maîtres et possesseurs de la nature et se détachent du monde spirituel et naturel.
La première scène d'affrontement entre dame Eboshi et San est aussi la première scène où sont présentés ces deux personnages féminins antagonistes. Elles semblent exister l'une par rapport à l'autre, l'une face à l'autre.
Elle nous à toujours traité comme des êtres humains, c’est bien la seule (un malade)
L’apparition de dame Eboshi se fait sous la pluie avec son légendaire chapeau rouge - couleur, qui, dans la culture japonaise dénote la force, la passion, le sacrifice de soi et évidemment, le sang. Dame Eboshi en personne. En effet, elle se moque des dieux ; entourée des hommes et surtout de femmes, elle incarne une figure autoritaire qui veille sur ses semblables. Bien que trop ambitieuse et parfois démesurée - son thème musical inspire d’ailleurs nettement la conquête et une grande détermination - elle reste humble, bienveillante et altruiste.
Lors du second affrontement, San s’introduit aux forges afin d’assassiner dame Eboshi. Chacune désire venger sa tribu et son clan. La scène dresse nos poils et écarquille nos yeux ; l'une face à l’autre, leur vie est en jeu pour leurs convictions et leurs valeurs respectives. Magnifique combativité qui met en scène une agressivité mordante et frissonnante.
Ces personnages féminins sont inoubliables et laisse entrevoir un monde qui fait place aux femmes :
Femmes gaillardes font bon village (Ashitaka)
M. Gonza, second de dame Eboshi, par sa voix gravement ferme et sa carrure imposante ne possède en réalité qu’une autorité de façade. Disons qu’il joue au dur et que tout le monde respecte sa volonté mais qui y croit ? Même O-Toki provoque plus de réaction lorsqu’elle gronde contre Koroku blessé qui n’est plus qu’une charge dans le monde des forges. Ce passage montre que la femme n’est pas enfermée dans un rôle d’aide soignante, ni affiliée à une forme de tendresse maternelle. Au contraire, ne serait-ce qu’à travers O-Toki, les femmes sont elles aussi associées au travail, à l’effort voire à l’impulsivité et à cette fierté insolente d’un être qui s’affirme. Dans Princesse Mononoké les femmes vocifèrent sans honte et ne manquent pas d’ardeur !
Alors quel rôle pour le protagoniste ?
Ashitaka traverse ces deux forces puissantes autour desquelles gravitent deux mondes opposés, il n’a pas nécessairement un rôle de jonction. D’ailleurs il ne parvient pas à véritablement s’interposer lors du second affrontement entre San et dame Eboshi. Néanmoins, il apporte un regard quasi impartial qui englobe l’ensemble, il est celui qui tâche de garder les yeux grands ouverts lorsque nos véritables héroïnes sont aveuglées par la haine et leurs convictions/ambitions. Le protagoniste est donc davantage un moyen d’éclairer la subtilité complexe des deux figures féminines qu’un héros principal. Ce n’est d’ailleurs pas anodin qu’il vienne d’un clan en exile d’une contrée lointaine et inconnue. Ashitaka n’est qu’une paire de lunettes de vue ; son bras est la forme visible de la haine, de ce démon qui habite et Mononoké et Eboshi.
Bon. Dire qu’Ashitaka “n’est qu’une paire de lunettes de vue” , c’est pas très clair comme image et en plus c’est faux. Il à l’air d’être malmené par son destin, mais qu’en est-il ?
Le Dieu cerf tombe, le Dieu cerf laisse les choses se dérouler et suivre leurs cours. Il n’a - que - le pouvoir d’insuffler la vie et de la reprendre ; il y a bien production sans appropriation. Tant que nous sommes en vie, la vie nous appartient. Cette force d’esprit est portée avant tout par des femmes avec la voix de dame Chamane : "Nul ne peut changer son destin, mais il est possible d'aller au-devant" ou celle d’O-Toki : “Tant qu’on est en vie, on peut toujours s’en sortir” mais également par Ashitaka : “Non, ce n’est pas fini ! Parce que nous sommes vivants” et comme le signifie dame Eboshi puisqu’il y a encore de la vie, il est possible de repartir de zéro.
Enfin, le thème de la reconnaissance m’importe particulièrement :
Je veux dire merci (dame Eboshi)
O-Toki d’abord, puis Dame Eboshi bien sûr remercient notre voyageur à son arrivée avec Koroku. Ashitaka en quittant les forges se retourne et remercie chaleureusement pour tout. C’est bien Ashitaka qui apporte cette valeur essentiel, à nouveau il remercie San et le Dieu-cerf pour leurs considérations. C’est une reconnaissance qui fait du bien, qui apaise les cœurs et repousse la haine dans sa coquille. Cela montre que l’immense violence est prise dans une toile - une toile d' humilité, de respect, de valeurs et finalement de beauté comme lorsque Mononoké mâche la viande sèche pour Ashitaka à bout de force - comme lorsque dame Eboshi rit aux éclats devant ses protégées.