À première vue, le film semble manichéen - fruit de la propagande du Front populaire. Il dénonce la cruauté des bagnes pour mineurs dans les années 1930 au nom de principes républicains humanistes. Deux visions s'affrontent à travers deux combattantes de choc. Mme Appel dirige un établissement pénitentiaire pour jeunes filles et les persécute. Une nouvelle directrice, nommée dans cette période de réformes initiées par Jean Zay, la rétrograde. Yvonne Chanel, adepte de méthodes douces, prône la compréhension et la confiance. Ces deux philosophies déboussolent les résidentes... Mais "Prison sans barreaux" ne manque pas de subtilité et le reproche de manichéisme ne résiste pas à l'analyse. Les personnages ont une réelle épaisseur humaine. L'intérêt dramatique ne faiblit jamais grâce à la solidité du scénario et à une mise-en-scène efficace.
Comment enfermer les jeunes filles ? Faut-il les dresser de force ou les éduquer avec compréhension ? Mme Appel veut les dresser et en jouir ! Elle tyrannise des filles marquées d'infamie sociale. Sa mystique répressive s'affiche dans le règlement intérieur, dont chaque article commence par : "IL EST INTERDIT DE..." Ses souffre-douleur doivent marcher au pas, exécuter des manœuvres militaires ou croupir au cachot... Hantée par le Péché, Mme Appel (Maximilienne) veut éradiquer les instincts pervers des filles d'Ève. Les dragons rejettent tout dialogue avec l'Ennemi. De telles méthodes engendrent la peur, la haine et la révolte. Certains protestent peut-être : "Mme Appel n'est qu'une caricature !" - "Vous plaisantez ? J'ai connu personnellement de telles brutes..."
Le rêve d'Yvonne Chanel (Annie Ducaux) est de transformer une maison de correction en institut d'éducation surveillée. La directrice exige le respect des pensionnaires, interdit aux surveillantes de les frapper. La diplomatie remplace la guerre. Elle retourne peu à peu la défiance en confiance. Une communauté se construit, où chacune trouve sa place et une responsabilité (travailler à l'atelier de couture, aux champs...). Regagner l'estime de soi est indispensable pour mieux s'insérer dans la société. Vous venez d'identifier la Sainte de mon titre... Mais qui est l'Ange ?
Sainte Yvonne propose à Nelly, fugueuse récidiviste de dix-sept ans, le contrat suivant : "Veux-tu sortir faire des courses pour moi ? Je te fais confiance, tu n'en profiteras pas pour t'enfuir." Le pari est risqué car Nelly est assoiffée de liberté... Et si elle ne revenait pas ? Circonstance aggravante, Yvonne envoie Nelly chez Guy Maréchal, médecin de leur établissement. Leurs fiançailles sont tenues secrètes car Yvonne projette de le suivre à Pondichéry après son stage de directrice. Envoyer l'Ange Nelly (Corinne Luchaire) chez le seul homme de leur univers féminin ? Quel étrange pari ! Yvonne veut-elle mettre à l'épreuve l'amour du docteur (Roger Duchesne) ?
Le huis-clos dans une centrale aurait pu être étouffant. Léonide Moguy insère donc plusieurs scènes extérieures. À la gare, le docteur accueille sa fiancée puis ils flirtent tout à loisir. Ou les scènes de Nelly lâchée dans la nature, jouant malicieusement aux gendarmes et aux voleurs avec de vrais gendarmes ("À mon tour de vous faire courir !"). Les dialogues d'Henri Jeanson multiplient répliques incisives et critiques pleines d'humour. Cela sied à une jeunesse cadenassée. Le jeu des actrices est naturel et très vivant. L'accent parigot de Renée (Ginette Leclerc) et ses commentaires font merveille. Les filles rêvent ou discutent à l'infini de privations insupportables : pas d'amour, ni cigarettes, ni d'alcool ! L'idylle entre le docteur et Nelly, promue aide-soignante, permettra à Renée la Poisse de résoudre au plus mal leurs problèmes de manques...