Villeneuve nous avait déjà bien sonné avec son terrible "Incendies", et il est intéressant de voir ce (grand) nouveau cinéaste canadien se confronter à la machine hollywoodienne qui en a broyé des plus originaux et des plus talentueux que lui. Or, au sortir des deux heures et demies du cauchemar éveillé qu'est "Prisoners", force est de constater que le réalisateur s'en est sorti haut la main, conduisant cette chronique nauséeuse d'une Amérique profonde bigote et repliée sur elle-même avec une sûreté d'exécution impressionnante, offrant à Gyllenhaal (sublime) et à Jackman (correct, pour une fois) ce qui risque bien de rester leurs meilleurs rôles, et évitant de manière surprenante toutes les embûches de ce genre de film : ici, pas de sentimentalisme, pas de larmes, pas de morale facile. Le combat avec le Mal absolu, et les dégâts qu'il cause en nous, est le sujet central de "Prisoners", ou tout au moins de ses premiers deux tiers parfaits, magnifiques, avant que le film, trop long, ne s'égare dans les méandres scénaristiques du film de serial killer façon "Silence des Agneaux", et que la tension ne retombe un peu. Maintenant, si l'on analyse froidement le script du film, on a le droit de se sentir légèrement mal à l'aise avec ce qui se dessine derrière le tableau peu amène de l'Amérique profonde : la torture n'est-elle pas ici finalement justifiée a posteriori, ou plutôt condamnée seulement parce qu'inefficace ? Dieu - le centre incontournable de la pensée américaine - n'est-il pas finalement juste, malgré les prêtres pédophiles et les brebis égarées dans le blasphème, lui qui répond aux prières et sauve les innocents ? Des questions gênantes, qui gâchent un peu la réussite du film de Villeneuve. [Critique écrite en 2013]