Tabernacle, ce Denis Villeneuve sait faire des films. Trois ans après nous avoir conté un terrible drame nous emmenant dans les confins d’un pays du Moyen-Orient dans Incendies, le réalisateur Québécois quitte le soleil et le sable pour la grisaille et la pluie de la banlieue de Boston. Un changement de décor, mais aucun changement à l’horizon quant à l’intensité du film. L’ambiance climatique a ici toute son importance dans la noirceur de ce thriller. Villeneuve a énormément misé sur la photographie de son film et se paye les services d’un grand directeur de la photographie, Roger Deakins. Connu pour avoir collaboré sur presque tous les films des frères Coen, mais aussi avec Sam Mendes et Edward Zwick. Le travail de Deakins sur Prisoners permettra au film d’être nominé aux Oscars dans la catégorie meilleure photographie.
Le soir de Thanksgiving, les familles Dover et Birch se retrouvent dans la joie et l’allégresse. Au cours de la soirée, leurs filles Anna et Joy, disparaissent. L’alerte est lancée. Les autres enfants avaient repéré un camping-car garé dans les environs et celui-ci semble avoir disparu en même temps que les filles. Le propriétaire, rapidement interpellé, se trouve être un jeune homme ayant l’âge mental d’un gamin de 10 ans. La police le relâche, ce qui n’est pas du goût de Keller, le père d’Anna, qui décide de l’enlever pour le faire parler. Face au mutisme de son prisonnier, le père de famille bascule dans la violence et torture le jeune homme de plus en plus violemment. Deux courses contre la monte pour retrouver les fillettes s’engagent. L’une, intègre et professionnelle, menée par l’inspecteur Loki et l’autre, immorale et désespérée, menée par Keller.
Prisoners est intense, haletant et merveilleusement servi par un casting épatant. Hugh Jackman est parfait dans son rôle de père, défenseur d’une pensée voisin vigilant et qui n’hésite pas à se transformer en tortionnaire dans l’espoir de retrouver sa fille. Jake Gyllenhaal interprète à la perfection le personnage de Loki, ce policier délicat, fragile, dont on comprend rapidement que son passé ne le laisse pas indifférent à cette enquête. Le troisième rôle fort de ce film est celui de Paul Dano qui joue Alex Jones, le prisonnier de Keller. Il se révèle être le centre du film. Savoir s’il est coupable tient le spectateur en haleine tout le long du film. Sa culpabilité ne fait aucun doute aux yeux de Keller. Franklin, le père de Joy n’est pas si catégorique et lui laisse le bénéfice du doute, la présomption d’innocence propre à une justice civilisée. Alex se retrouve dans l’une des scènes clés du film, celle qui transforme le suspect en coupable aux yeux du spectateur en une fraction de secondes. Il s’agit de la scène où Keller observe Alex sortir son chien. Ce dernier, d’un geste brusque, le pend au bout de sa laisse avant de le laisser retomber brutalement sur le sol. Un acte barbare, une violence gratuite qui le condamne aux yeux de tous. Keller reçoit ainsi la bénédiction du spectateur qu’il attendait, il peut commencer son office et enlever Alex.
On peut reprocher au film une certaine longueur. Villeneuve construit son intrigue par strates, semant au passage de nombreuses fausses pistes qui rallongent l’histoire. Le réalisateur profite de cette longueur pour s’attarder sur les personnages, disséquer leurs angoisses et mettre à nu la violence qui les habite.
La seule ombre au tableau dans Prisoners reste son dénouement. Ce happy ending hollywoodien n’est pas à la hauteur de cette ambiance qui suinte l’ultime tragédie, la mort des fillettes, entraînant le meurtre d’Alex. On a l’impression que Villeneuve n’a pas osé aller jusqu’au bout de ce qu’il avait commencé. Néanmoins, Prisoners est une belle preuve du professionnalisme du canadien qui a su, une fois de plus, s’entourer des bonnes personnes pour sublimer son œuvre.