Le nouveau film de Sion Sono était peut-être l’une des plus grandes attentes des festivaliers de l’Étrange, tant public que critique. Et pour cause : promesse d’un Nicolas Cage survolté, Sofia Boutella au casting, une première bande annonce façon dynamite, une production internationale relocalisée au Japon pour que le réalisateur puisse venir à bout de ses envies. Comment une si grande attente de cinéma a-elle pu virer au carnage ? Chronique d’un désastre qui a manqué de couilles.
L’âme sans le coeur
En matière d’images et de réalisation, sa filmographie parle d’elle-même, à l’image du film somme(t) Love Exposure, course effrénée à travers les affres de l’adolescence, mais aussi des différentes qualités que devrait posséder un réalisateur talentueux ( rigueur scénaristique, ambition formelle, quelques grains de folie, une productivité foisonnante quitte à rater quelques essais ). Malheureusement, dès les premières minutes, l’absence de l’auteur au scénario se fait ressentir : la scène d’ouverture est une scène de braquage suivie d’une ellipse et d’une mission donnée au protagoniste pour que sa dette envers la communauté soit remboursée. Le reste n’est que succession de situations prétendantes au titre de revisite du film d’action classique, perdantes toutefois tant le rythme lent peine à signifier ou faire part de quoi que ce soit. Pourquoi nous présenter un univers aussi minutieusement décoré, que ce soit dans la communauté ou dans le Ghostland, pour ne jamais l’explorer, ni même l’exploiter ? L’urbanisme traditionnel japonais se mêle bien aux tons vifs et post-apocalyptiques, presque teintés de l’imaginaire du jeu-vidéo. Mais où est passé le scénario ?
Sans véritable explication, Nicolas Cage accomplit passivement ce pour quoi son personnage a été inventé. La critique en devient laborieuse et inconfortable tant il est difficile d’identifier ne serait-ce qu’une vaine tentative de la part du réalisateur, s’étant visiblement attelé à l’exercice d’un film avec un élément déclencheur dénué de toute péripétie. À la rigueur, l’exercice de style pouvait être défendu… à condition de ne pas être involontaire. Il reste un maigre lot de consolation pour se rappeler que Sion Sono est derrière les manettes : une scène d’action finale en demi hommage au jeu de combat 1 v 1 beaucoup trop tardive ainsi que la jeu avec la combinaison de Cage, dotée d’explosifs à déclenchement automatique si la fille n’est pas récupérée à temps, mais aussi en cas de violence physique ou attirance sexuelle pour la victime. Par un malentendu, ce qui devait arriver arriva et notre héros perd une testicule, la récupère, et hurle son deuil, et nous avec celui de la qualité japonaise.
Impardonnable
L’échec artistique objectif de cette oeuvre est d’autant plus grinçant que pour un film raté, celui-ci n’a même pas la décence d’être un cas d’étude intéressant : un film raté vaut mieux qu’un film moyen qui vaut lui même mieux qu’un K.O. cinématographique. Chaque scène hurle son manque d’ambition, des décors du Ghostland, tel que les muettes recouvertes de peau de mannequin, intrigantes mais jamais développées ou encore l’arc narratif revenant sur l’origine de cette terre radioactive, sorte de pansement finement déposé sur une hémorragie interne. Le film manque peut-être de radicalité, ce à quoi nous avait habitué le réalisateur, avec des films comme Antiporno, Suicide Club ou encore Tokyo Tribe, remettant en cause les lignes morales japonaises, sur le plan sexuel, le rapport à la mort et la violence urbaine.
Parce qu’au final, de quoi peut-on dire que Prisoners of the Ghostland est le sujet ? Certains avanceront le thème de la captivité et de l’opposition de forces politiques telles que le bandit à travers Nicolas Cage, l’État rival symbolisé dans le Ghostland ou encore la jeunesse avec la fuite de Sofia Boutella. Mais que dire des développements apportés ? L’aveu de faiblesse se ressent partout et se rattrape nulle part, s’engouffre même lorsqu’il est pris pour pertinent de faire un rappel de flashback à propos du braquage qui ouvre le film auquel nous avons déjà assisté il y a moins d’une heure, pour expliciter une relation amicale tout à fait compréhensible. Peut-être qu’en prenant le spectateur pour un idiot en recherche d’ego trip dans la lignée du virage que prend actuellement la carrière de Nicolas Cage, le maître Sono Sion s’est perdu dans son art en se concentrant trop sur ce que pouvait attendre le spectateur, délaissant au passage le tantinet de gravité dont nous avions besoin pour nous investir dans ce Ghostland. À se demander qui était enfermé dans le Ghostland : Sofia Boutella ? Le spectateur ? Le réalisateur lui-même, dont la production internationale aura eu raison de son habitude à réaliser de grands films ? La question reste ouverte.
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