Promesse
7.4
Promesse

Film de Yoshishige Yoshida (1986)

Nous avons toutes et tous nos sensibilités et des sujets qui nous émeuvent et sur lesquels nous développons une empathie sincère, moi c'est la fin de vie des personnes âgées. Peut-être parce que j'avais un papa âgé, peut-être parce que dans ma famille il est de tradition que nos aînés finissent leurs jours au sein de notre foyer dès lors que leur indépendance ne permet plus un maintien à domicile et j'ai la chance que ma famille puisse le faire et assurer cela matériellement. Il ne s'agit pas ici de porter un jugement sur ceux qui sont contraints de laisser leurs parents dans des lieux dédiés, soyons bien clairs là dessus. J'ai donc eu diverses expériences personnelles, intimes avec cette thématique de la fin de vie et les différents aspects que cela comporte, d'être témoin de la dégradation des corps, puis des esprits, de voir les symptômes de la sénilité s'installer, de surprendre un sursaut de conscience, d'entendre des souhaits parfaitement intellectualisés de ne pas prolonger outre mesures leurs vies, devoir consoler des chagrins mêlés de peurs ou au contraire trouver la force d'une sagesse apaisée face à l'inéluctable.

Ainsi, fort de cet affect singulier qui m'habite, j'ai un goût certain pour les œuvres abordant ces thèmes, lorsqu'en plus cela est fait d'une façon aussi belle et bouleversante qu'ici, alors mon appréciation ne peut qu'être immense.


Kiju YOSHIDA choisit d'entamer son récit par la mort d'une femme, là où généralement les cinéastes ont tendances à clore leur récit par la conclusion logique de la vie - euphémisme ciné génique ? - lui au contraire évacue cela dès la séquence d'ouverture de son film. Cette femme dont on découvre qu'elle vivait avec son mari chez son fils, sa bru et ses petits enfants est morte durant la nuit, mais son époux s'accuse de l'avoir tué et cet aveu, bien que sujet à cautions en raison de l'état cacochyme du vieillard oblige la police à ouvrir une enquête.

Débute alors la véritable force impactante du film, dans un flashback qui nous expose les derniers jours de la défunte à travers les yeux, les pensées, les souvenirs et l'âme de son veuf, on déroule le fil des événements qui vont conduire à ce qu'on sait de facto, sa mort.


Sa mort étant actée et indiscutable, la question est de savoir si le vieil homme dit vrai ou si il fantasme, si cette mort est naturelle ou pas ou pour le dire rapidement quels moyens mettra en œuvre la police pour résoudre ces questions ? Mais ce n'est pas ce qui intéresse le cinéaste, qui préfère éluder l'aspect enquête en très vite la sortant de son cadre pour se concentrer sur les sentiments des survivants et par ce biais, nous interroger sur notre rapport à l'euthanasie mais surtout à nous illustrer de façon dramatiquement poignante ce qui traverse nos aïeux quand chaque jours nous constatons la déchéance, la perte d'indépendance et pouvons même parfois sans penser à mal, leur soustraire le droit et la possibilité de choisir seuls.


Le film investit également avec finesse et précision les rapports qui peuvent naître avec l'entourage, on a beau dire mais nous n'avons pas la même complicité avec nos parents qu'avec nos grands parents ou nos beaux parents, l'amour peut-être sincère et grand, mais il y a un lien qui est autre avec nos parents. Les comportements erratiques tant du vieillard Ryosaku que de son épouse Tatsu s'ils peuvent engendrer autant de sentiments d'agacements, que de compassions chez les membres de la famille, ils ne sont pas tout à fait les mêmes ni reçus pareils selon le degré de lien qui unit chacun avec ces personnes. Diverses scènes du film le montre avec systématiquement une extrême bienveillance mais dans un constat d'évidence.


Le film s'attache donc à rejouer les derniers moments de Tatsu notamment dans son rapport d'épouse, mais son rapport à elle, sa dichotomie poignante qui se joue entre son désir de féminité exacerbé et ses absences manifestes, la dureté apparente de sa requête faite à son mari de la tuer lui pour ne pas vivre plus longtemps dans cet état d'indignité et la beauté de la promesse que ce dernier lui fait d'accéder à son souhait comme ultime preuve d'amour. Une scène en ce sens a eu un effet dévastateur sur moi et m'a mis en larmes, l'homme un matin trouve sa femme inanimée dans sa baignoire, mais pour lui c'est intolérable, il veut honorer la promesse qu'il lui a faite et refuse alors de la laisser partir autrement que par son concours direct.


Au final l'intervention du fils qu'il ne faut pas révéler va engendrer une rupture sidérante dans la narration et ouvrir Ryosaku a des pensées qu'on devine sans peine d'une profonde tristesse, d'un abattement destructeur, un geste d'amour envers une mère, mais qui tient de la trahison envers un père, qui conclut le film sur une interprétation double à laquelle chacun répondra selon sa subjectivité, mais quelle que soit votre interprétation sur cette fin d'une gravité absolue, à moins d'être un sociopathe diagnostiqué, votre vision doit s'embrumer des larmes qui perleront à vos yeux.


Le thème de l'euthanasie s'il est ici traité dans un Japon contemporain, un Japon vieillissant où la question n'est pas comme chez nous intellectualisée avec les mêmes approches, les mêmes rapports à la mort. L'influence de l'héritage judéo-chrétien sur cette question qui régulièrement investit le corps social n'y est pas prépondérante mais malgré cela, l'universalité de la thématique nous interroge et nous pousse à une réflexion profonde sur le sujet. Ce thème est aussi présent dans un de mes films préférés, La Ballade de Narayama (1983), où cette fois il s'ancre dans un Japon d'une autre époque où la question de la fin de vie des anciens ne répondaient pas à des vœux de dignité de vieux, mais à des contraintes imposées aux générations suivantes. Un film qui m'apparait comme un excellent choix pour un double programme dédié, si tant est qu'on est la force d'endurer deux films aussi sombres, mélancoliques, tristes et bouleversants.


Tristes bien qu'au final ils parlent de la vie et d'une étape parmi d'autres ce qui là aussi questionne notre rapport à cette dernière qu'on nomme, la mort.

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le 5 nov. 2024

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