Le projet "Prometheus" aura profondément creusé le sillon de la discorde au pays des adorateurs du Xenomorphe.
Pour une fois, la presse française s'est laissée tranquillement happée par la peinture Science fictionnelle d'un Ridley Scott persuadé de tenir au bout de sa focale le coeur palpitant de son oeuvre et d'en livrer enfin l'apothéose sous forme de fantasme archéologique teinté d'ésotérisme, de mythologie et de religion. Évacuons d'emblée la place du Xéno qui ne relèvera que de l'antithèse destructrice face à la thèse créatrice des Ingénieurs. Les seconds servant les premiers dans leurs expérimentations létales à l'égard du genre humain, pantins avides et curieux assoiffés d'immortalité et géniteurs à leur tour d'une intelligence artificielle. "Prometheus" peut se voir comme l'ultime péché de l'homme dans sa conception d'une réplique de synthèse capable d'efforts physiques et intellectuels surhumains. Sur un plan temporel, il n'aura fallu que 2000 ans à l'Homme moderne pour créer son semblable de synthèse (date de la naissance du Christ) alors que des forces provenant de corps célestes ont mis plusieurs millions d'années à engendrer le cycle de la vie. "Jouer à être Dieu" et à en subir les conséquences, tel sera le noyau thématique du retour de Scott à la Science Fiction. Un retour par la grande porte qui n'aura pas les honneurs malgré l'indiscutable succès du film.
Que l'on aime ou pas «Prometheus», sa cote oscille entre adoration et haine.
Dès l'annonce du projet, l'incompréhension va s'immiscer dans les rouages d'une communication fébrile. Prequel d'Alien ? Univers parallèle ? Le flou s'installe et les multiples annonces du département marketing de la Fox ne pourront enrayer la perplexité naissante des futurs spectateurs. «Prometheus» ne visera jamais le coeur du fan d'Alien prisonnier entre son appartenance à la pop culture et ses aspirations fantasmatiques autour de l'évolution des espèces issue de l'ADN d'un extra terrestre. A ce stade du visionnage, le premier décryptage aboutit à une impasse artistique pour tout amateur de la tétralogie originale. Ce nouveau segment n'entretiendra que peu de lien avec la bête. En résultera une poignée d'arguments légitimes mais facilement friables. En vrac, l'amalgame entre les Space Jockey de LV-426 et LV-223, la mort de Vickers (Charlize Theron) qui aurait due zigzaguer pour éviter de se faire écraser lors de sa fuite (difficile quand un vaisseau fait 100 Mètres de long diront certains) , le suicide immédiat de l'équipage du Prometheus (alors que les Ingénieurs planifient une destruction de la terre), les scientifiques réagissant bêtement face à deux reptiles de l'espace etc...etc... Un mécanisme de défense un peu grossier qui dissimulerait plutôt une immense FRUSTRATION face au film de monstre promis. «Prometheus» aura eu pour effet de subtiliser la visceralité de «Alien» au profit d'un long voyage réflexif à la manière de Arthur C. Clarke dans son roman «Rendez-vous avec Rama». Scott n'aura donc pas déjoué les attentes, il les aura complètement annihilées au profit d'un projet plus riche entre l'esthétique de Giger et le look architectural de Moebius. Une enveloppe racée d'une beauté fascinante vecteur artistique évident et porte d'accès à la grandeur de l'oeuvre. La première d'une longue liste.
Aimer Scott, c'est aimer "Prometheus" et inversement.
Sir Ridley, peintre à ses heures n'aura jamais caché son Amour pour l'Art pictural. Que ce soit de la gouache ou de la lumière l'homme se fait le chantre des civilisations perdues et des interrogations religieuses. L'Egypte et la Rome Antique, Le Moyen Âge, Le Premier Empire, la frise chronologique se couvre au rythme d'une filmographie passionnante lardée d'oeuvres perfectibles et d'impondérables. De foi et de civilisations disparues, il en sera grandement question dans "Prometheus" puisque Scott va pouvoir façonner sa propre mythologie en y travaillant le point de vue de ses personnages principaux. Un procédé d'identification qui amènera le spectateur à se poser non plus comme un passif mais comme un actif à la recherche d'indices disséminés dans le cadre. Les Ingénieurs ont bien disparu mais les artefacts restent à l'image de ce Xenomorphe crucifié preuve de l'adoration quasi religieuse de ce peuple envers une créature vouée corps et âme à la destruction. Quid des peintures murales et des roches couleur émeraude ? Des ornements ou offrandes appartenant au folklore de la race ? Un mimétisme culturel et religieux qui n'est pas sans rappeler les idoles de la race humaine et de la fascination de l'homme pour L'Art et en l'occurence la peinture. On crée, on détruit, on contemple le beau, on prie... Scott face à lui-même. La boucle est bouclée.
Plus qu'une oeuvre "la créature" de Scott se détache de la perfection que l'on attribue aux cadors de la SF, "2001" en tête et dernièrement le remarquable "Interstellar".
Dans un courant de pensée qui n'appartiendra qu'à chacun, l'agnostique se tournera naturellement vers le chef d'oeuvre de Kubrick. Une imagerie scientifique couplée au symbole du Monolithe. Une force démiurgique en réponse à nos manques de connaissances sur nos origines. Les plus sceptiques préfèreront aborder le film de Nolan résolument athéiste quant à son refus de modeler une forme expérimentale qui pourrait représenter "Dieu". Dans "Interstellar", tout est Science. Tout aussi réflexif qu'il soit, la nature de "Prometheus" est celle de jongler entre contre culture et théories scientifiques. Le film doit sa notoriété au succès de "Alien" et ne renie jamais son appartenance au genre cinématographique. David, androïde se plait à revoir "Lawrence D'Arabie" et "Mother" intelligence artificielle du vaisseau rejoue le HAL du film de Kubrick. C'est au sein de ce berceau du Septième Art que se love toutes les aspirations de Ridley Scott qui n'hésitera pas à faire glisser son divertissement référentiel vers ce qu'il considère être sa théorie de l'avènement de l'homme sur terre : Un succédané du "Darwinisme". Si les Ingénieurs ont donné naissance à l'homme, l'idée d'un créationnisme fantaisiste dû à une main sortant des cieux avec pour dessein de modeler le monde en sept jours restera une vaste fumisterie. La thèse avancée par Scott et son scénariste Damon Lindelof restant hautement plausible étant donné les icônes et symboles découverts sur des peintures rupestres et abordés en préambule dans le film. "Dieu" est certes omniscient et omnipotent mais il en reste palpable puisque lui-même constitué de cellules organiques. Se pose alors l'idée d'un nouveau cycle de vie. Qui a engendré les Ingénieurs ? Le film n'y répondra pas. En revanche il mettra un terme à la descendance puisque l'androïde est en bout de chaîne stoppant net l'évolution. Un sacrilège commit de la main de l'homme et une forme d'accession à l'immortalité.
2012, année de la sortie du "prequel de Alien" marquera aussi Ridley Scott sur un plan artistique (la mort de Moebius) mais aussi dans la sphère privée avec le suicide de son frère Tony. Un drame qui aura des conséquences sur le reste de sa filmographie. "Cartel" joyau de film noir nihiliste, "Exodus" et son Moise incrédule devant Dieu jusqu'à "Alien Covenant" et la foi d'un androïde dans les germes de la destruction.. Autant de films âpres, passionnants qui ne demandent qu'à être redécouverts. Un état de grâce en forme de Requiem pour un artiste qui n'a plus rien à prouver.