« She came from Greece she had a thirst for knowledge
She studied sculpture at St Martin's College
That's where I caught here eye »

Les amateurs auront reconnu l'entame du morceau emblématique de ce petit groupe de Sheffield devenu rock-star de renommée internationale. Lorsque Pulp nous invite en 2012 à nous plonger dans le contexte particulier de la dernière date de leur ultime tournée, forcément dans leur ville natale pour clore le tout en beauté, il nous convie en quelque sorte à prendre la place de la jeune fille de la chanson. Moi, petit français n'ayant jamais vu de ma vie d'autre mines que celle que celles qu'on s'inflige dans les bars, me voilà trimballé dans la ville industrielle de Sheffield, berceau de la chose Pulp, à m'extasier sans vergogne devant ces petites gens et leur vie ordinaire, surtout leur admiration ordinaire du groupe. Comme un putain de touriste voyeur. And everybody hates a tourist, especially one who thinks that it's all such a laugh.

D'ailleurs, le documentaire s'ouvre sur le début du live, sur ce fameux "Common People", alors que Jarvis commence à se déhancher au rythme des paroles mille fois entendues, scandées comme un seul homme par la foule. Rien de pire, confient les membres interviewés, que de jouer devant un public qu'on connait trop bien. La pression est immense, le risque que tout capote est démultiplié. Ajoutez à cela le stress tout naturel du show de fin de tournée, celui que tout le monde retiendra, celui qui sera filmé. Immortalisé, mais pas encore immortel...

« I took her to a Supermarket
I don't know why but I had to start it somewhere
So it started... there »

Pour se changer les idées avant l'échéance, Jarvis se désole de la pauvreté de ses songes. Le rêve, n'est-ce pas ce lieu qui peut nous emmener partout à la fois, au gré de notre imagination ? Pourquoi alors faut-il que lui, l'artiste adulé, le plus grand parolier de sa génération (c'est pas lui qui le dit, mais je traduis), doive se borner à se rêver en train changer un pneu ? Que c'est... commun. "Common People", d'ailleurs, ne nous a pas lâché. Alors que la caméra s'arrête sur un Jarvis accomplissant la prophétie de son rêve, clé et pneu à la main, on peut entendre en fond la chorale des senior(ina)s de la ville entonner la chanson. On commence à comprendre : ce film ne sera pas un simple concert filmé, ces moments – aussi superbes qu'ils soient – ne sont même pas majoritaires. Prévalent le portrait des gens de Sheffield (et d'ailleurs ; n'oublions pas le portrait de cette toute jeune mère célibataire américaine ayant fait le trajet pour l'occasion), ces gens du communs qui ont tous, d'une manière ou d'une autre, compté pour l'élaboration de l'univers dépeint par les chansons de Pulp, ces mêmes gens qui ont ensuite porté l'héritage de ce qui est devenu avec les décennies une fierté locale.

« Rent a flat above a shop, cut your hair and get a job
Smoke some fags and play some pool, pretend you never went to school
And stil you never get it right cuz when you're lay in bed at night
Watching roaches climb the wall, if you call your dad he could stop it all »

Les rencontres se suivent, chacune plus touchante que la précédente. Cet entraineur des footballeuses benjamines, qui a obtenu de pouvoir imprimer "Pulp" sur la prochaine éditions de maillots de l'équipe. Ce marchand de journaux bonhomme, bien enrobé, qui adore chanter "We Are The Champions" plus que tout, et qui sera présent ce soir sans faute. Ce jeune transsexuel que la découverte de Sheffield en même temps que celle de Pulp a sauvé. Ce vieil artisan fabricant de couteaux qui en a vu passer des guitaristes. Cette vieille dame taquine, qui nous raconte qu'elle écoutait Blur et Pulp dans le temps, tout en délivrant un peu de sa propre sagesse. Ces fans de la dernière heure, qui chantent affreusement mal mais avec plus de passion que certains chanteurs reconnus dont je tairai le nom, qui se cousent "Jarvis" ou "Pulp" sur leur culotte, qui se les gèlent en attendant le moment de leur vie. Cette bouquiniste qui nous récite les paroles de "Help the Aged", disant d'un ton grave que cette vision d'une vieillesse solitaire correspond parfaitement à son vécu. En parlant de "Help The Aged", une des plus belles vignettes du film nous est offerte par cette maison de retraite, dont les membres (guidés par un résident et sa guitare sèche) entonnent cette chanson qui leur est dédiée, chantent leurs rides, leur air pas frais, et leur désir d'amour.

Sheffield pour Pulp, fut en tant que berceau le lieu des premières expériences... Do you remember the first time ? Sûr que Jarvis, Candida, Mark, Steve et Nick s'en souviennent, et n'hésitent pas à nous montrer une performance presque complète de « This Is Hardcore » devant son public. Chef d’œuvre du groupe, aussi bien musical que littéraire, cette sublime métaphore de la première fois est transcendée lorsque, pour la dernière fois, Jarvis se congestionne sur scène en coups de reins vengeurs alors que son visage mime l'orgasme (mais le mime-t-il vraiment...?). Jarvis Cocker n'a cessé au long de sa carrière avec Pulp de faire l'amour, un amour vicieux, exhibitionniste, avec le monde entier, mais sur scène comme sur disque, il apparaît qu'il ne l'a jamais mieux fait qu'avec « Sheffield Sex City ».

« You will never understand how it feels to live your life
Without meaning or control and with nowhere left to go
You are amazed that they exist
And they burn so bright that you can only wonder why »

Je ne comprendrai sûrement jamais c'est vrai, mais ce soir là au Kino Ciné de Lille 3 j'ai essayé, le plus fort que j'ai pu, de me mettre dans la peau de ces gens-là. Faut pas jouer au pauvre, quand on a le sou, ne disait pas Jacques Brel. Moi aussi, crétin de touriste, j'en rêve parfois, sachant pertinemment que Jarvis me rirait au nez derrière ses énormes lunettes. En l'écoutant gémir glorieusement, transformer le plomb frigide en or bandant, oui moi aussi ça m'arrive, de vouloir vivre comme les common people, de vouloir faire ce que font les common people, de vouloir coucher avec les common people... comme toi. Toi qui, au lieu d'aller coller des poissons sur le dos de ton pote, ira te ruer en salle pour la sortie française du film. Okay ?
TWazoo
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2015

Créée

le 21 mars 2015

Critique lue 404 fois

12 j'aime

T. Wazoo

Écrit par

Critique lue 404 fois

12

D'autres avis sur Pulp : A Film about Life, Death & Supermarkets

Pulp : A Film about Life, Death & Supermarkets
ludovico
10

Je veux rester jeune le plus longtemps possible...

1Il fut un temps où la guerre faisait rage. C’était au début des années 90 : la guerre de la brit Pop. D’un côté Blur (les nouveaux Beatles ?), de l’autre Oasis (les nouveaux Rolling Stones) ? Pour...

le 20 avr. 2015

7 j'aime

1

Du même critique

Jackson C. Frank
TWazoo
9

Milk & Honey

"Le plus connu des musiciens folk sixties dont personne n'aie jamais entendu parler." Ainsi s'exprime très justement un journaliste dans un article dédié à la mémoire de Jackson C. Frank, mort en...

le 17 oct. 2013

68 j'aime

5

One-Punch Man
TWazoo
4

"Well that was lame... I kinda had my hopes up too."

Cette citation n'est pas de moi, c'est Saitama lui-même, principal protagoniste et « héros » de One-Punch Man, qui la prononce après un énième gros vilain dûment tabassé d'un seul coup...

le 5 janv. 2016

67 j'aime

38

Murmuüre
TWazoo
9

Murmures du 3ème type

On pourrait être tenté, à l'approche de la musique de Murmuüre, de ne parler que de Black Metal. On pourrait amener, à la simple écoute des guitares poisseuses et saturées ou bien des - rares -...

le 30 sept. 2014

56 j'aime

5