Tout le talent de Brian De Palma dans Pulsions réside dans sa capacité à faire prendre du plaisir au spectateur tout en lui faisant prendre conscience de son propre côté voyeur. Je sais pas si on doit le remercier ou lui en vouloir de mettre en lumière nos vérités cachées.
Dès le premier plan, on se sent d’ailleurs presque gêné d’être là, lorsqu’on nous conduit lentement dans une salle de bains lumineuse où un homme se rase et une femme, nue, se douche. La nudité frontale arrive, brusquement. On a l’impression de pénétrer dans une intimité où l’on aurait pas été invité. Ce n'est pourtant que le début ... A plusieurs reprises, De Palma utilise des procédés ingénieux pour traduire visuellement ce sentiment de voyeurisme du spectateur. La plupart des scènes commencent par exemple souvent par un plan assez lointain, avant un mouvement progressif vers l’avant par le biais de travellings lents qui génèrent presque une certaine frustration de l’attente. On ne se situe pas directement dans l’action ; on y entre par une porte dérobée, par derrière une fenêtre, comme si on était là, à tendre l’oreille, avant de se rapprocher pour mieux entendre. Parfois, on reste à une certaine distance de sécurité, comme pour ne pas se faire remarquer, mais tout en continuant à espionner l’action (quand les deux docteurs se parlent dans l’escalier, on reste sur le palier du dessous, les voyant en contre-plongée, et on descend en même temps qu’eux).
Le réalisateur utilise aussi la caméra subjective, comme lors de la fabuleuse et enivrante scène du musée, qui a, à juste titre, récolté pas mal de louanges. On devient Kate et on guette celui que l’on recherche à chaque recoin, chaque virage, comme affamé. Difficile ne pas se prendre au jeu et de tomber, à notre tour, dans une sorte de frénésie. Vous avez dit pulsions ? Bien souvent aussi, le spectateur voit ce que ne voit pas le personnage, lui donnant une sorte d’avantage pervers pour le laisser imaginer avec une anticipation sadique ce qui va se passer. Le meilleur exemple est la fantastique scène du métro, hyper haletante : dès que le personnage tourne la tête, on voit derrière lui se faufiler les emmerdes. Et on frémit d’horreur ou de plaisir à l’idée de ce qui se profile (bien souvent en se trompant). Vers la fin du film, on retrouve ce sentiment lors de la conversation entre Liz et Peter au restaurant : on remarque derrière eux les personnages qui mangent aux autres tables, et notamment une vieille dame aux oreilles qui trainent derrière Liz, offusquée des propos que les deux interlocuteurs tiennent. Au-delà du commentaire sur le voyeurisme, c’est même plutôt drôle.
De Palma porte d’ailleurs une vraie attention aux détails. On notera un certain fétichisme autour d’objets ou parties du corps : les plans sur les pieds / les chaussures (en particulier dans le musée ou à la fin), l’image récurrente du gant (parfait symbole de séduction) ou la culotte dans le taxi. Il y a aussi pas mal de jeux de mots aux sous-entendus sexuels, à commencer par le fabuleux « working on your peter », lancé par Kate à son fils. S’il est un détail récurrent dans le film, en revanche, c’est bien celui du miroir : on le retrouve dans plusieurs plans (impliquant tous Michael Caine), symbole évident de la dualité du personnage du psychanalyste et du problème de l’image que l’on a de soi.
Pour finir, Pulsions table sur les deux murs porteurs du Tabou - le sexe et la mort. Et il ne se contente pas de les évoquer : le film les jette à la gueule du spectateur comme un soigneur balance des carcasses décharnées aux fauves du zoo. Zoom sur les seins, le pubis, les caresses érotiques rythmées par des gémissements lancinants ; gros plan aussi sur le visage lacéré, le sang qui gicle. La caméra les approche au plus près du spectateur, en magnifiant les détails et faisant exploser les contrastes (Kate est tout en blanc). Et au fond, c’est presque ça qu’on veut. Dans une époque du cinéma commercial où la nudité et la violence sont deux des principaux appâts à spectateurs, Pulsions prend une dimension supplémentaire en tendant lui aussi un miroir à son spectateur. Tu veux du cul ? Tu veux des morts ? Bah tiens ! Prends-ça dans la gueule ! Le film pose aussi la question de l’équilibre délicat entre envie et culpabilité. Ses deux personnages féminins y sont perçus comme refoulés (Kate) ou trop assertifs (Liz). Doit-on alors céder à nos pulsions ? Est-il normal de s’en sentir coupable ? Si le film n’offre pas forcément une réponse, il a le mérite de poser la question.
Alors oui, tout n’est pas parfait dans ce que propose De Palma. Le scénar est parfois bancal et grotesque, la dernière demi heure peine à retrouver les éclats de brillance du début, certains personnages sont à baffer (le geek, le flic), un poil trop d’objectification féminine … Mais quand le film trouve son rythme, joue sur la symbolique et fait valser et tourner et courir sa caméra à travers les couloirs d’un musée ou d’un métro, c’est juste parfait et somptueux à regarder. Inutile de vous reparler des parallèles avec le boulot d’Hitchcock, d’autres l’ont déjà très bien fait. Ce qu’il faut savoir, c’est que Pulsions est une master class au niveau du travail de l’image et de la relation du public avec l'oeuvre (un peu comme ce tableau qui fixe Kate lors de la scène du musée : il y a un regard distant, mais intéressé, presque inquisiteur). Ca m’a aussi pas mal fait penser au film Peeping Tom de 1960, devenu véritable référence du cinéma d’horreur. Le voyeurisme, les femmes, la violence, tout ça … Sauf que dans Pulsions, le véritable « Peeping Tom » (voyeur) aux pulsions inassouvies, c’est nous.