"L'homme stupide, devant tout discours, demeure frappé d'effroi."
Le discours. Cet éternel débat entre Gorgias et Socrate. Cet exercice admirable et symbolique. Cet outil si précieux du politique en campagne. Ce voisin de la dissertation qui n'en est pas une. Une éternelle nuance, affaire de tous mais clamé par un seul, un sujet en or pour Tavernier qui signe aujourd'hui l'adaptation sur grand écran de la BD "Quai d'Orsay".
Il nous raconte l'histoire d'Arthur, un petit nouveau au Quai d'Orsay qui se voit confier d'emblée l'écriture des discours du ministre des affaires étrangères, rien que ça. Et si le jeune homme est une pointure en la matière, il en faudra bien plus pour contenter Monsieur Alexandre Taillard de Worms, un Dominique de Villepin énergique et pointilleux savoureusement interprété par Thierry Lhermite. Lui répondent un Raphaël Personaz étonnant, mais surtout un Niels Arestrup parfait dans le registre comique.
Tavernier quant à lui s'amuse, et se promène dans les coulisses du pouvoir avec le regard amusé d'un petit garçon. Moins dans l'empathie que dans la satyre, le cinéaste pointe les problèmes de communication au sein du gouvernement dans un esprit très subtil. Ceci est formidablement bien imagé par la confrontation des espaces: on passe de l'exigu au vaste, de l'étroit à l'ouverture d'esprit, du concret à l'abstrait, avec un long couloir et des portes qui claquent comme fossé des cultures. Ce presque huit-clos s'écoute et se regarde avec oreilles attentives, parce qu'il est drôle, truculent et jubilatoire. Et la cadence est tenue jusqu'au bout grâce à des acteurs phénoménaux et un comique de répétition qui fait mouche. De raté, il n'y aurait finalement que la fin qui nous laisse quelque peu...sur notre faim.
Il y aura plusieurs façons de capter la morale du film, ou plutôt deux étapes de compréhension : D'abord moqueur vis-à-vis du gouvernement, Tavernier glisse progressivement vers l'admiration grâce au regard d'Arthur, et ce sans jamais perdre de vue le cœur de son sujet. Dès lors il n'appartient qu'à nous de choisir. Soit l'on rit gentiment du désastreux système de communication du ministère des affaires étrangères, soit l'on comprend la lourde tâche qu'est la conception d'un discours, véritable clé du casse-tête politique que doit gérer le Quai d'Orsay au quotidien.
Le discours, ce bout de papier vulgaire parfois transformé en machine de guerre. Une pièce d'échec dans notre société ultra-médiatisée, de l'image et du mot près. Un enjeu de tous les conflits, justement filmé par un cinéaste passionné et passionnant. Non seulement je l'ai vu, mais j'ai aimé le dernier Tavernier.