Boris et Veronika, l’avenir devant eux, s’éblouissent d’un vol de cigognes.
Mais la guerre est déclarée,
Veronika parle de mariage, Boris parle de s’engager, et le voilà déjà parti, le sinistre tic-tac du temps résonne. Bientôt l’au revoir jovial en famille autour d’un verre, la gloire est promise à ceux qui reviendront, pour les autres… « Ceux qui vont y rester auront un monument à leur mémoire, avec leur nom gravé en lettres d’or », belles promesses.
Dans une romance tragique qui chante l’anti-militarisme et les rêves de paix, Mikhail Kalatozov ne s’acharne pas dans le bourbier des horreurs du front mais choisit de regarder Veronika dépérir de l’absence de celui qu’elle aime et des conséquences sur le quotidien fragile de ceux restés à l’abri des combats. Pas à l’abri des bombes : son immeuble est en flamme, son appartement soufflé, ses parents disparus, seule la pendule du salon pend encore on ne sait d’où et égraine un lugubre tic-tac.
Dans un film tout en mouvements, malgré un scénario convenu, le cinéaste soviétique emporte le spectateur. Le travelling qui accompagne Boris au moment du départ et s’attarde longuement sur les portraits de la foule est superbe, et tout le film l’image glisse, accompagne, emmène, emporte. Magistral de cinématographie pure. Mikhail Kalatozov et son chef opérateur Serguei Urusevsky savent également poser la caméra pour des ambiances plus lourdes, plus sombres, comme la séquence au piano contre les bombes, le refus imbécile du danger, la résistance futile tant la guerre, la vie même, sont implacables et déchaînent toute leur violence en gros plans confrontés de contrastes, expressionisme en saccades. Quand Marc piétine les débris laissés par le départ de son frère Boris et s’impose à Veronika, Boris patauge dans la boue et sous les coups de feu joue au brave jusqu’à tomber dans des rêves envolés, perdus dans la cime lointaine des bouleaux nus de l’hiver.
« Je ne tiens pas à la vie. À quoi ça sert ? »
Veronika est évacuée en Sibérie, elle travaille comme infirmière à l’hôpital local en espérant une lettre de son soldat jusqu’à… course effrénée, montage frénétique d’une puissance rare, dans le chaos la pauvre jeune femme cherche à se perdre et trouve un enfant égaré.
La vie ne s’arrête jamais.
Mikhail Kalatozov dépasse le drame pour emmener le spectateur vers une conscience positiviste. Tirer les leçons du passé pour améliorer le lendemain. Sans être un film de propagande, il y est peu question de politique frontalement, le cinéaste soviétique expose une philosophie de l’optimisme par-delà les malheurs.
Dans la joie collective d’après-guerre, Veronika n’est que larmes.
Mais au ciel, un vol de cigogne illumine son visage, les promesses d’un avenir de paix et de « l’édification d’une vie nouvelle » la ramènent à la vie. Veronika sèche ses larmes, sourit, et partage ses fleurs à tout le monde autour d’elle.
Le mouvement, efficace, impressionne de virtuosité.
Matthieu Marsan-Bacheré