[Critique à lire après avoir vu le film]

Disons-le d'emblée : je n'approuve pas les cinéastes qui sortent un film par an. D'abord parce que je trouve insensé d'attribuer chaque année un financement à un réalisateur quand tant de jeunes (et moins jeunes) talents ne trouvent pas à réunir les fonds nécessaires à leur projet. Ensuite parce qu'il est très rare de maintenir un haut niveau de qualité en étant aussi productif. Fassbinder est l'un des noms qui me viennent à l'esprit. Je n'en vois guère d'autre. Le contre-exemple, c'est Kubrick ou Béla Tarr.

François Ozon est l'illustration de ce constat : pour quelques superbes réussites - Grâce à Dieu, Frantz et Sous le sable -, combien de ratages ou semi-ratages, que je ne citerai pas par charité chrétienne ? Ozon, j'y vais donc environ une fois sur trois... et suis déçu environ deux fois sur trois. Dont celle-ci.

C'est la présence à l'affiche d'Hélène Vincent qui m'a attiré. Je garde en effet un souvenir ému de sa composition dans Quelques heures de printemps, sur l'euthanasie. Mais Ozon n'est pas Brizé : du printemps à l'automne, on ressent la déprime. Pourtant les couleurs chatoyantes sont au rendez-vous et l'intrigue est au départ assez maligne : une vieille femme intoxique sa fille en lui servant une poêlée de champignons, dont certains vénéneux. Etant donnée l'ambiance qui règne entre Michelle et sa fille Valérie, on se pose la question : fut-ce volontaire ? Ozon sème des indices contradictoires : oui, puisqu'on voit Michelle jeter le reste de champignons à la fin du repas ; non, puisqu'on l'avait également vue écartant un bolet Satan, et parce qu'elle aurait pris le risque, en servant des champignons vénéneux, que son petit-fils adoré en prenne aussi. Surtout, pourquoi un acte aussi radical alors que la principale motivation de ce qui va suivre - Lucas lui est enlevé - n'est pas à l'ordre du jour ?

On opterait aisément, donc, pour le "non", si les nombreuses invraisemblances du film ne nous laissaient redouter un Nième exemple...

Résumons rapidement l’histoire d'abord : privée de son petit-fils par Valérie, Michelle va profiter de la sortie de prison de Vincent, le fils de sa grande copine Marie-Claude, pour lui confier la mission d'éliminer sa fille. On apprendra la raison du conflit mère-fille : Valérie n'a jamais pardonné à sa mère son passé de prostituée. L'assassinat accompli, Michelle récupère chez elle le jeune Lucas qui n'a pas voulu suivre son père à Dubaï. Elle l'inscrit à l'école la plus proche de chez elle. Avec l'argent du "contrat" qu’il a exécuté, Vincent ouvre le bar-tabac de ses rêves. Peu après, Marie-Claude, qui s'est découvert un cancer généralisé, casse sa pipe à l'hôpital. Pendant ce temps, la police mène l'enquête, soupçonne la présence de Vincent chez Valérie le jour de sa mort. Seul Lucas, qui l'a croisé, pourrait le faire inculper, mais il ment, prenant le parti de son grand copain Vincent qui le protège à l'école et joue au foot avec lui.

Invraisemblances

Cette belle mécanique scénaristique se grippe à bien des endroits.

A tout seigneur tout honneur, examinons en premier lieu le cas du personnage principal, Michelle : comment cette femme qui fut obligée de se prostituer pour vivre, donc probablement pas issue d'une famille aisée, peut-elle posséder un appartement à Paris qu'elle a donné à sa fille + une magnifique demeure en Bourgogne. Il y en a pour plusieurs millions d'euros ! Et ce n’est pas tout, elle a encore sur son compte de quoi acquérir un bar/tabac ! Ça rapporte la prostitution... Apparemment Marie-Claude (jouée par Josiane Balasko qu’on imagine d’ailleurs plus aisément en ex-prostituée qu'Hélène Vincent) était moins performante puisqu'elle vit dans un réduit plus en accord à mon sens avec la condition de ces ex travailleuses du sexe. Par ailleurs, Michelle fait assassiner avec beaucoup de légèreté celle qui est quand même sa fille, cette fille pour laquelle elle a vendu son corps pendant de nombreuses années. Une attitude difficile à admettre.

Il en va de même pour Valérie : sa rancoeur vis-à-vis de Michelle n'est pas suffisamment étayée, surtout lorsque cette dernière explique qu'elle a fait cela pour nourrir sa fille. Que Valérie en ressente de la honte, on peut le concevoir, mais cette animosité ?...

Passons à Vincent, qui ne donne pas sa part aux chiens côté invraisemblances. Pourquoi tente-t-il de convaincre Valérie de mieux traiter sa mère s'il est venu pour la tuer ? Pourquoi, de retour en Bourgogne, raconte-t-il à sa propre mère qu'il s'est rendu à Paris le jour du crime ? Rien ne l'y obligeait, et sa version selon laquelle "elle [serait] tombée cette conne", à tout pour éveiller les soupçons de sa génitrice. Ensuite, on est un peu surpris de la rapidité qu'il met a acquérir le bar-tabac de ses rêves - un cliché, soit dit en passant, qui se perpétue depuis La belle équipe. L'acquisition d'un fond de commerce, ça ne se fait pas vraiment d'un claquement de doigts...

Le personnage de Lucas est au diapason des autres : il ne semble pas trop affecté de la perte de sa mère, à peine le voit-on feuilleter un album de photos. On a aussi un peu de mal à croire à la cohabitation d'un pré-ado au quotidien avec sa grand-mère : le film montre bien quelques tensions, par souci de réalisme tout de même, mais sans aller au-delà. Enfin, lorsqu'il comprend que c'est Vincent qui a tué sa mère, il continue à le couvrir ?

Face à lui, la police est, une fois de plus au cinéma, estampillée incompétente, les professionnels apprécieront... Car franchement, la silhouette captée par les caméras ressemblant à Vincent le jour du meurtre + des fonds "donnés" par Michelle au même moment (ce qui, au passage, est illégal, je pense, à l'égard du fisc), il y a un peu de quoi ne pas s'arrêter aux dénégations du jeune garçon.

Concernant Marie-Claude, plus crédible que les autres, j'ai quelque doute sur le cancer généralisé découvert subitement (pas de signe annonciateur avant ?), mais là je peux me tromper. Si une oncologue me lit ?!...

Bref, l'attelage est pour le moins bancal : n'est pas non plus Chabrol qui veut - même si ce dernier a fait également trop de films, et donc trop de mauvais films.

Outrances

Ce n'est pas tout, car ce Quand vient l'automne souffre aussi d'un côté caricatural.

Le début du film, à cet égard, est catastrophique : fallait-il faire de Valérie une véritable tête à claque qui aboie sur sa mère dès qu'elle ouvre la bouche ? Ce qui ne l'empêche pas de réclamer une seconde donation, celle de la maison bourguignonne ? Le propos est bien trop outrancier pour convaincre - décidément, Hélène Vincent, qui s'est fait connaître par La vie est un long fleuve tranquille, est damnée... Son fils Lucas est tout aussi tête à claque, inintéressant au possible. Il faut le talent d'un Pierre Lottin pour donner de la consistance au personnage de Vincent qu'Ozon lui a attribué : l'acteur a un côté inquiétant, on le sait depuis La nuit du 12, même s'il tend, depuis, un peu à se banaliser.

Ce n'est pas encore tout, car les dialogues ne sont pas toujours crédibles : le "allons par là" de Marie-Claude en forêt m'a paru sonner faux. Reste Hélène Vincent, raison de mon déplacement au cinéma. Globalement convaincante, si j'exclus sa première conversation au téléphone, assez peu naturelle. Elle et Pierre Lottin tiennent tant bien que mal le film à bout de bras.

Un peu d'humour et de finesse quand même...

Lesté de tous ces travers, le film a heureusement pour lui d'être par moments assez drôle. Par ses situations (le débarquement à l’église de la horde d'ex prostituées pour la cérémonie funéraire) mais surtout par ses dialogues à double sens :

- Ainsi, lorsque Michelle justifie auprès de Marie-Claude l'argent qu'elle a donné à son fils par un "il m'a rendu service". Malicieusement, le film avait commencé par montrer Vincent faisant des travaux de jardinage chez Michelle - et celle-ci avait pu constater la qualité de son travail...

- Ainsi encore lorsque, sur son lit de mort, Marie-Claude se plaint que son fils avait toujours fait le mal en voulant faire le bien : Michelle répond "l'important c'est de vouloir faire le bien". On sait de quel bien elle parle...

- Vincent lançant, alors qu'on l'invite au restaurant, un "du moment qu'il n'y a pas de champignons" est un autre moment assez savoureux.

- On notera aussi l'exclamation "Lucas, quel bonheur !" avec laquelle elle accueille son petit fils, rigoureusement la même à 10 et à 18 ans. Subtil.

Au rayon subtilités, évoquons encore l'homosexualité de Vincent, qui requiert une grande attention du spectateur : il faut la comprendre avec juste une balade nocturne de Vincent au bord d'un bois, puis avec sa réponse à la question de Lucas "toujours pas de copine ?...". Et, puisque Lucas n'en a pas non plus à 18 ans, doit-on comprendre qu'il l'est aussi, ce qui pourrait - un peu - justifier son mensonge à la police ? Le film, volontiers outrancier, se montre à d'autres moments un peu trop sibyllin.

Et un peu de fond

Deuxième point pour relativiser mon appréciation négative : si l'ensemble sonne assez creux, il n'est pas non plus totalement dénué de fond. Que nous dit ce film ? Il parle de l'automne, c'est-à-dire de la vieillesse. (On ne sera pas surpris, à cet égard, que la moyenne d'âge de la salle hier soir ait été assez élevée - un bon calcul commercial puisque les jeunes sont rares dans les salles sauf lorsqu'il s'agit de blockbusters américains...). La vieillesse, donc, et son lot d'affres et de souffrances. Michelle est plutôt en forme physiquement mais elle perd un peu la tête, comme le montre l'épisode chez le médecin. Celui-ci, en lui prescrivant tout de même des antidépresseurs, lui répond qu'elle a surtout besoin de trouver des occupations : voilà qui m'a semblé très juste. Le film le montre bien : Michelle lit mais le roman lui tombe des mains, elle jardine mais s'en lasse puisqu'elle va charger Vincent de cette besogne, se promène mais a besoin de compagnie. Le sel qu'elle rajoute dans sa soupe c'est, dans son existence, son unique petit-fils de temps à autre. Le meurtre de sa fille prend soudain des allures de geste vital de type "c'est elle ou moi" - même si, bien sûr, il y avait des solutions moins expéditives pour revoir son Lucas. Une fois sa vieille copine disparue, Lucas et Vincent seront les seuls êtres qui lui restent, ce qui l'amènera à exprimer sa gratitude de façon sonnante et trébuchante. Mais Lucas, un jour, doit bien finir par quitter la maison. C'est ainsi, par solitude, qu'on va vers la mort, ultime image du film, assez joliment annoncée par l'accolade que donne à sa mère le fantôme de Valérie.

* * *

Concluons. Si le dernier opus d’Ozon n’est pas nul, il requiert tout de même beaucoup d'indulgence - ou très peu d'exigence. Car je n'ai pas encore parlé de la forme, d'une grande platitude. Là, pour moi, le contraste a joué à plein : passer des Graines du figuier sauvage et All we imagine as light au film d'Ozon, c'est tout de même se prendre une douche froide - ou plutôt tiède. Plutôt que de pondre un film par an, le cinéaste ferait bien de travailler ses cadres, ses mouvements de caméra et sa lumière pour produire de la singularité. Entendons-nous bien : le cinéma d'Ozon est efficace, de bonne fabrication, il sait faire - heureusement, au bout de 23 films ! -, mais il manque cruellement de personnalité. Ce qui fonde un véritable auteur. Vous me direz, pourquoi chercher plus loin puisque chacune de ses livraisons annuelles, ou presque, rencontre le succès, et qu'on continue à financer tous ses projets ?

Jduvi
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le 7 oct. 2024

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Jduvi

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