Il y a un côté presque rassurant, à regarder Silver Lode aujourd'hui dans les conditions médiatiques hystériques actuelles, à cette ère de post-vérité où les faits et les opinions tendent à perdre leurs sens et leurs différences respectives. 1954, c'est déjà le début de la fin du maccarthysme initié en 1950, mais ils n'étaient pas nombreux à oser aborder cette thématique même de manière allégorique comme c'est le cas ici chez Allan Dwan... Il avait suffi d'un sénateur pour pourrir l'atmosphère pendant 4 ans, et on se prend à penser à notre futur, quand on repensera à la période actuelle de la même manière, comme un énième cauchemar qui se referme — en attendant les suivants. Dans cette veine, Quatre Étranges Cavaliers pourrait être considéré comme un lointain remake de Le train sifflera trois fois (High Noon), en moins solide sur le plan budgétaire, mais partageant grosso modo le même propos.


Le Gary Cooper local, c'est John Payne qui souhaitait simplement se marier le jour de la fête nationale, un 4 juillet, mais qui voit débarquer 4 gars armés jusqu'aux dents avec un mandat d'arrêt contre lui. Des gars franchement pas nets, on sent l'embrouille à plein nez derrière cet agent fédéral, et puis bon, c'est annoncé dès sa dénomination : il s'appelle Fred McCarty. Tout est dit. Le pauvre Payne, aka Dan Ballard ici, passera tout le film à essayer de faire entendre la vérité face à un groupe qui débarque et impose ses faits alternatifs, mais il verra progressivement tous ses proches retourner leur veste, emplis d'un doute sincère. C'est d'une tristesse assez notable, d'autant que le final ne tend pas du tout vers la même note pleine d'espérance que chez Fred Zinnemann, où Gary Cooper et Grace Kelly quittaient ensemble la ville. Dans la presque dernière scène, ici, la foule lui tire dessus alors qu'il est réfugié en haut du clocher...


Tout cela étant dit, on est sur la fin de carrière d'Allan Dwan, loin de sa célébrité du côté du western muet, et l'empreinte de série B sans le sou n'est pas négligeable ici. L'absence de superstar au casting n'est pas tant un problème, la sobriété du protagoniste jouant un rôle positif sur son personnage — la direction d'acteurs et d'actrices n'est pas irréprochable au demeurant. Il y a un côté cheap dans l'omniprésence des décors en carton, qu'un plan-séquence vient toutefois magnifier, et c'est plutôt inattendu : une scène de fuite durant laquelle Ballard parcourt le village en travelling latéral produit un effet particulier surprenant, et réussi. Cette chasse aux sorcières est ponctuée par quelques éléments empreints d'une douce naïveté, à l'image du miracle aboutissant à l'établissement de son innocence — la communication d'une fausse preuve, intéressante sur le plan moral (uniquement un moyen de gagner du temps avant l'établissement de la vérité), et le ricochet salvateur de la balle sur une cloche. Et deux personnages féminins opposés (Lizabeth Scott et Dolores Moran) qui, au-delà de certains canons stéréotypés de son époque, constituent les principaux phares de vertu dans cette ambiance obscurantiste.


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