Depuis deux ans, le cinéma espagnol ne cesse de me ravir. Lors de l'été 2015, il m'a pris par surprise avec La Isla Minima et La nina de fuego, par sa capacité à emprunter des chemins tortueux tout en affrontant ses démons dû à l'héritage nauséabond du Franquisme. Durant l'été 2016, c'est l'émouvant Truman qui m'a séduit en abordant avec tendresse un sujet aussi difficile que la cancer. Cet été, Que Dios nos perdone confirme l'excellente santé du cinéma ibérique, mais à la différence des années précédentes, il nous a auparavant offert le rugueux La colère d'un homme patient sur lequel plane l'ombre de Sam Peckinpah et le touchant Été 93.
Madrid, août 2011. A l'approche de la visite du Pape Benoît XVI, le corps d'une femme âgée est retrouvée dans les escaliers d'un immeuble du centre-ville. Alors que les premiers éléments de l'enquête semblent conclure à un homicide, l'arrivée des détectives Velarde (Antonio de la Torre) et Alfaro (Roberto Alamo) va modifier la perception des faits. En inspectant l'appartement de la victime, puis son corps, ils vont découvrir que la vieille dame a été violée. Peu de temps après, un meurtre à l'identique va être découvert. Un tueur de vieilles dames bigotes sévit au cœur de cette ville sous haute-tension. Pour ne pas alarmer le population en ce temps de crise et de visite papale, on va demander aux détectives de faire preuve de la plus grande discrétion.
La première heure se déroule caméra à l'épaule. Le réalisateur Rodrigo Sorogoyen nous plonge au cœur de l'enquête, en donnant un aspect documentaire à son film ce qui permet de découvrir les personnages et de mieux comprendre le contexte politique, social et religieux de cet été 2011. On va suivre les détectives Velarde (Antonio de la Torre) et Alfaro (Roberto Alamo) lors de leurs investigations, mais aussi au sein de leurs foyers respectifs. Les deux hommes sont très différents, que ce soit de par leur caractère, leur manière d'enquêter, de se vêtir et dans leur vie sociale. Alors que Alfaro se comporte comme un macho avec sa femme et leurs deux enfants, Velarde tente de briser sa solitude en flirtant avec la femme de ménage. Au premier abord, c'est drôle et touchant. On est en empathie avec lui, surtout à cause de son bégaiement et sa ressemblance avec Dustin Hoffman. Au contraire, on déteste le machisme et la violence qui émane de son partenaire. Seulement, les apparences sont trompeuses où du moins notre jugement est hâtif, comme trop souvent. Ils sont à l'image des hommes qu'ils traquent, à croire qu'à force de les côtoyer, ils sont contaminés par le mal qui les ronge. Alfaro semble déjà sérieusement atteint comme le démontre les premières images du film, alors que Valverde est au bord de la schizophrénie.
Le portrait des hommes et de la société que dresse Rodrigo Sorogoyen est des plus sombre. Sa caméra prend le temps de nous montrer la crise se reflétant dans les rues madrilènes. On aperçoit des mendiants, des sans-abris dormant sur les bancs et les poubelles débordant sur le trottoir. C'est à ce moment-là, que le film s'accélère avec une course-poursuite entre les deux détectives et le tueur en série, dont on ne voit pas le visage. La tension est palpable avec la musique accentuant cette sensation. La confusion règne avec une manifestation, avant que l'on se retrouve dans une station de métro. On est à bout de souffle, nos yeux fouillent dans la foule pour retrouver le fuyard, mais c'est en pure perte. L'échec est cuisant et cela marque le début de la plongée dans l'horreur. On est pris aux tripes en découvrant ce malade flirtant avec le morbide. C'est glaçant et effrayant. Le malaise s'installe et ne va plus nous lâcher jusqu'à la fin.
Le polar est sombre, glauque et violent. Sa violence résulte des rapports humains avec ce besoin irrépressible de prouver sa force et d'affirmer sa domination sur les autres. Il n'en résulte que de la souffrance pour soi et son entourage. Certains vont jusqu'à donner la mort, alors que d'autres ont encore une barrière les empêchant de commettre l'irréparable. Leurs personnalités ont été façonnées durant leur enfance, à travers les rapports avec leurs parents et amis. On nous donne quelques indices pour expliquer leurs comportements, mais sans que cela aille dans la psychanalyse. Cela reste avant tout un thriller rugueux à l'atmosphère étouffante, dont la noirceur et son pessimisme est des plus désagréables.
La réalisation de Rodrigo Sorogoyen est à l'image de son film, elle se divise en deux parties avec la première de type documentaire, puis la seconde se montrant plus esthétique et donc cinématographique. Il s'appuie sur un casting de gueules talentueuses avec l'immense Antonio de la Torre, Roberto Alamo constamment sur la brèche, le diabolique Javier Pereira et les deux autres détectives Luis Zahera et Raùl Prieto. Un polar aussi sombre que notre monde, qui à défaut d'être original se révèle prenant et éprouvant.