Malgré son étrangeté, ce film signé du Grec Alexandros Avranas mérite largement la découverte. Il s’intéresse à ce qu’on nomme le syndrome de résignation, en s’inspirant d’un cas réel pour le mettre en scène de façon très personnelle, ne se contentant pas, loin de là, d’une simple illustration.


La famille Galitzine est arrivée en Suède grâce à un passeur, fuyant la Russie où le père, Sergueï (Grigoriy Dobrygin), était menacé physiquement pour ses prises de position en faveur de la liberté d’expression. Là-bas, il était professeur en université. Il demande donc le statut de réfugié pour lui, sa femme Natalia (Chulpan Khamatova) et leurs deux filles, Alina l’aînée et Katia la plus jeune. Avant leur rendez-vous au service de l’immigration, ils imaginent déjà leur vie comme citoyens suédois.


Dans ce service (gros bâtiment), ils sont reçus par une femme derrière un bureau accompagnée d’une traductrice qui se tient sur le côté. Les Galitzine sont alignés face à celle qui leur annonce le verdict qui les refroidit : face au manque de preuves matérielles, leur demande est purement et simplement rejetée. Ils ont quelques jours pour faire appel et pour fournir au moins un témoignage convaincant. Il faut dire que la marque que Sergueï montre sur son ventre en désespoir de cause n’est pas bien méchante. De toute façon, la jeune femme ne la regarde même pas. Son travail de fonctionnaire se bornait à la transmission d’informations. Elle se retire par une porte derrière son bureau et une voix se fait entendre par un haut-parleur : ils pourront partir lorsque Segueï se sera calmé et assis.


Le constat de froideur est d’ores et déjà bien présent. La pièce est sans la moindre décoration, le contact purement administratif en dépit du souci de faire en sorte que tout se passe correctement avec la présence de la traductrice et un énoncé clair de la situation. Malgré les scènes de chorale à laquelle Alina participe dans l’école où elle a été intégrée, cette froideur est une constante de ce que vit la famille. Ainsi, les couleurs à l’écran sont dominées par le gris (clair essentiellement), du noir, du blanc et des couleurs pâles. Aucune couleur vive. Le rouge de la couverture du carnet où Sergueï a consigné tous les souvenirs qui doivent lui permettre d’argumenter ne correspond qu’à un accessoire relativement petit, visible fugitivement à l’écran. A cette froideur calculée, la mise en scène associe une lenteur également calculée, dans les gestes notamment (voir la scène de la piscine où les parents baignent leurs filles inconscientes) et les mouvements de caméra. Cette lenteur est évidemment à mettre en parallèle avec la lenteur administrative qui va jusqu’à la mise en suspens de la décision définitive. En effet, un jour Katia s’écroule. Hospitalisée, on lui diagnostique le syndrome de la résignation, ce qui veut dire que son cerveau l’a plongée dans le coma pour la protéger à sa façon d’une situation où elle ne se sentait pas en sécurité. A mon avis, le réalisateur prend prétexte de ce que provoque ce syndrome pour nous mettre, nous spectateurs, en situation de malaise. Ainsi, débute une sorte de psychodrame qui voit le corps médical prendre les choses en main. On fait comprendre aux parents que le sentiment d’insécurité de Katia est de leur responsabilité et on enfonce le clou avec cet aveu d’une infirmière prétendant que certains parents vont jusqu’à empoisonner leurs enfants pour éviter l’expulsion. Tout en cherchant à protéger leurs enfants, ils leur ont transmis leur angoisse inconsciemment, par une tension permanente. La crédibilité du discours incite les parents à jouer le jeu et à réapprendre certaines bases de comportement.


On arrive au cœur du sujet avec cette spécialiste qui les fait sourire sur commande en cherchant à les décrisper. L’ironie de la situation n’échappe ni aux protagonistes ni aux spectateurs. Elle se trouve bientôt renforcée par une réflexion qui laisse entendre que le corps médical va jusqu’à mentir aux patients. La tentative de décrispation tourne court et on en vient jusqu’à se demander ce que vaut la démocratie suédoise (dont on a un aperçu de l’historique lors d’un cours suivi par Alina).


En effet, à la violence physique du système russe, le système suédois répond ici (n’oublions pas qu’il s’agit d’un film, avec ses effets de mise en scène) par de la violence psychologique. La question apparaît dans toutes ses composantes quand on comprend que les Galitzine sont soupçonnés de mensonge pour obtenir l’asile.


D’ailleurs, le doute est effectivement permis, puisque Sergueï incite Alina à produire un faux témoignage. On tombe d’ailleurs dans spirale infernale puisque c’est à la suite de ce témoignage (la fonctionnaire suédoise n’a pas trop de mal à faire craquer Alina, bien seule dans cette grande pièce, dès qu’elle en a fini avec son discours appris par cœur et qu’on passe aux questions) qu’Alina tombe elle aussi dans le coma. Les moyens employés s’avèrent puissants et froids eux-aussi.


La question qui se pose en filigrane est donc de déterminer quels moyens peut-on employer pour lutter contre un pouvoir totalitaire. En d’autres termes, quelles limites se fixer face à ceux qui n’en ont aucune ?


Relativisons tout cela en considérant que la mise en scène accentue exagérément de nombreux points et se permet quelques facilités. Ainsi, les espaces utilisés pour des bureaux notamment, servent à déboussoler les personnages en demande que sont les Galitzine (effet renforcé par les teintes visibles à l’écran et la décoration minimaliste), surtout pour un film se passant en Suède, pays au climat rude où on imagine mal pour quelle raison on payerait le chauffage de tels espaces juste pour mettre mal à l’aise des candidats réfugiés. Les scènes hospitalières sont clairement mises en scène soigneusement elles aussi, avec une immense salle qui n’est pas sans rappeler celle des savants hospitalisés dans une salle commune dans Tintin - Les sept boules de cristal, sans compter l’alignement en extérieur quand les parents peuvent voir leurs enfants. De même, la scène qui voit Alina démoralisée, seule de nuit à la piscine, manque singulièrement de crédibilité. Enfin, que les parents se voient autorisés à repartir de l’hôpital avec leurs deux filles dans le coma, sur simple signature d’une décharge ne colle pas non plus. C’est d’ailleurs un peu trop beau qu’ils trouvent un hébergement quasi clandestin à ce moment-là. Peu importe à mon avis, car le cinéaste a pu évoquer ce syndrome de la résignation pour le traiter selon son inspiration et inciter à la réflexion.

Electron
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le 12 janv. 2025

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