Mathias, un immigré roumain, quitte l’Allemagne après une rixe avec un de ses collègues et retourne dans sa région d’origine, la Transylvanie, en lisière de la forêt millénaire des Carpates. Dans une petite ville transylvaine, véritable tour de Babel où cohabitent les communautés hongroise, saxonne (arrivées dans cette région à l’époque médiévale) et roumaine, des tensions ressurgissent au moment de l’arrivée de trois migrants sri-lankais. Ces derniers, recrutés par la boulangerie locale, en pénurie de main d’œuvre, font en effet l’objet de l’hostilité de la majeure partie des villageois, peu habitués à voir fouler sur son sol une population si exotique. Le point d’acmé du film est sans nul doute atteint lors de la réunion de la communauté villageoise, dans la salle des fêtes, pour discuter du sort de ces migrants : quinze minutes, d’une pression insoutenable, qui filme en plan fixe les débats des villageois, véritable catharsis, où s’expriment les pulsions xénophobes de la communauté.

Plusieurs thématiques peuvent ainsi être soulevées. D’abord, au prisme de ce village transylvain, est abordé le thème de la xénophobie contemporaine : dans un contexte d’augmentation des flux de travailleurs, venus de plus en plus loin, et qui touchent même ici le fin fond de la Transylvanie, l’opposition des populations locales est frontale, en témoigne la scène de l’incendie volontaire du logement des migrants sri-lankais, perpétré par des villageois, ou encore par l’emploi d’une rhétorique ouvertement raciste, sur fond de peur hygiéniste. Alors que plane sur le village la menace d’attaques d’ours, les pulsions xénophobes de certains villageois confinent ici à la bestialité. Mais est soulevée une contradiction : Roumains et Hongrois rejettent les migrants, alors même que les populations est-européennes bénéficient, depuis une dizaine d’années, d’un système migratoire favorable dans le cadre de l’Union européenne, caractérisé par la possibilité de profiter de conditions salariales plus élevées en Allemagne, en France ou en Italie. Les effets délétères du néo-libéralisme sur la société sont également pointées du doigt (les salaires de misère proposés par la boulangerie locale), de même que la peur du déclassement, causée par le dumping social et l’intégration à un marché économique européen de plus en plus concurrentiel. L’UE en prend particulièrement pour son grade lorsque les villageois critiquent les leçons de morale de Bruxelles, prompt à verser des millions d’euros pour protéger les ours des Carpates, mais ferme les yeux sur les problèmes d’infrastructure de cette région ; l’Europe de l’Ouest serait ici plus intéressée par les plantigrades roumains que par les conditions de vie de ses habitants. Incarnation de cet idéalisme occidental, le jeune humanitaire français, en mission dans le village pour protéger les ours, et soutien des migrants sri-lankais est l’objet de la vindicte populaire, lors de sa prise de parole lors du débat. Le clivage entre l’Europe de l’Est et de l’ouest, sur fond de sentiment d’humiliation, est en cela parfaitement retranscrit. Autre victimes expiatoires de ce débat, les femmes dirigeantes de la boulangerie industrielle, employeuses des migrants sri-lankais et dont le train de vie, typique d’une classe moyenne supérieure, connectée, pro-européenne, en plein essor en Europe de l’Est, suscite la jalousie et la colère des villageois paupérisés.

Avec R.M.N, nous retrouvons en cela le style de Cristian Mungiu, notamment son sens de la tension, que l’on retrouvait déjà avec force dans plusieurs de ses films – Au-delà des collines (2012), 4 mois, 2 semaines, 2 jours (2007). Virtuose du film social, Mungiu ne sombre néanmoins pas dans le manichéisme et décortique en profondeur les souffrances de son pays d’origine, avec sévérité parfois, mais sans nier la complexité des racines de la colère, qu’il essaie justement d’analyser à la manière d’un scanner neurologique (en référence au titre). Enfin, Mungiu excelle ici dans la restitution de la lourdeur de l’atmosphère des Carpates, marquée par une grande obscurité et la froideur des intéractions.

L. B-V

LonardBarbulesco
10

Créée

il y a 8 jours

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