Pétard mouillé.
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Ce film se déploie comme une expérience traumatique sur le point de se raviver après des années, pour l’exorciser et s’en libérer, se rappelant à notre conscience par flashs tantôt nimbés d’une lumière étouffée, tantôt nets. Comme au sortir d’une longue nuit enfiévrée de silhouettes diffuses, qu’on préfèrerait ne jamais avoir croisées.
L’actrice principale s’est beaucoup documentée et a échangé avec ces silhouettes: des jeunes femmes revenues de Raqqa, qui ont accepté de témoigner. Puis elle a laissé cette matière indicible infuser en elle, sans jamais juger ni prendre parti. Entre le casting (2017), à l’occasion duquel elle a été choisie sans ambiguïté, elle, inconnue jusqu’alors, dont les producteurs ont pressenti dans l'instant le potentiel convaincant, laissant augurer que le grand public n’en finirait plus jamais de la croiser sur grand écran. Parce que Megan Northam laisse une trace ineffable de son jeu remarquable et saisissant.
Premier rôle d’un long-métrage, rôle-titre, et déjà une nomination, catégorie Révélations, aux César 2025. Premier film de long-métrage pour la réalisatrice allemande, Mareike Engelhardt, qui s’est nourrie de sa propre expérience, d’un fait divers et d’une histoire vraie, modelée pour la fiction avec son coscénariste Samuel Doux. L’aventure a commencé par un article de journal qui l’a interpellée : c’était en 2010.
C’est l’histoire de Jessica, qui ne rencontre en France que mépris et silence auprès de son père et dans l’Ehpad où elle exerce comme infirmière sans avoir le diplôme. Lassée, elle a fait son choix : rejoindre l’État islamique en Syrie. L’amie avec laquelle elle a organisé ce voyage est en quête d’un mari et d’enfants mais pour Jessica, l’intention est plus trouble. Elle espère surtout trouver une reconnaissance : être respectée, trouver sa place.
Le sujet n’est pas Daech, ni la tyrannie exercée sur les femmes de ces combattants qui accouchent en Syrie, en Irak, et dont les enfants nés sur place continuent d’alimenter une zone grise, brûlante, que les gouvernements successifs, depuis les années 2010, abordent crispés. Des enfants embrigadés par une idéologie barbare et radicale, véritables bombes à retardements, prochaine génération à commettre d’éventuels attentats sanglants visant l’Occident, un mode de vie, la chrétienté.
Le sujet en vérité, est l’endoctrinement. Tous les endoctrinements et en particulier celui que subissent les femmes et les enfants marginalisés, qui nourrissent une rage croissante, jusqu’au jour où elle éclate comme un volcan ensommeillé se met à déverser la fureur de sa lave sans prévenir.
La rage, c’est la nouvelle identité de Jessica au Moyen-Orient : Rabia. Une rage qu’elle déverse d’emblée dans cette madâfa, maison des femmes en transit, si possible vierges, avant qu’elles ne soient attribuées à un mari arabe pour le servir (« Tu ne le contredis pas, tu ne lui réponds pas »). Des transactions abominables dirigées par une femme sans identité : Madame, et dépourvue d'une âme vendue aux Frères musulmans qui la gâtent, dans un palais austère en plein désert où seule la mélodie belliqueuse des kalachnikovs résonne. Madame (Lubna Azabal dans un rôle luciférien, éloquente oratrice) vit sous morphine et ne semble ressentir que ce seul élan sanguinolent, jouissant du contrôle coercitif et du pouvoir menaçant et humiliant qu’elle exerce de main de maître. Dans la vraie vie, la femme qui a inspiré ce personnage est poursuivie pour crimes contre l’humanité. Née pour avilir, elle en est fière et parvient, sous couvert d’une protection que Rabia continue d’attendre sur ce nouveau continent, à convaincre la jeune européenne qu’un destin supérieur l’attend ici.
Le film se vit à travers le spectre étendu du jeu de Megan Northam, que l’on découvre aussi humaine qu’inhumaine dans son rôle de Jessica, devenue Rabia tout acquise à Allah Akbar. Si son amie l’entraîne dans cet enfer, elle est celle qui, devenue Leïla, saura l’en délivrer. Mais le prix à payer est diabolique.
Un film éprouvant, réalisé tout en subtilités, sous tension permanente. À couper le souffle. Un film vertueux aussi, qui aide à définir, sinon comprendre, la trajectoire de ces femmes vulnérables, proies idéales, enrôlées trop jeunes par le biais des réseaux sociaux. Une réalité qu’il serait dangereux, pour l’Occident, d’ignorer trop longtemps.
Les planètes semblent alignées, pour la société de production Films Grand Huit, à la filmographie, tendance sociétale, aussi audacieuse qu’exigeante. En 2024, « Rabia » a été nominé au Festival du Film Francophone d’Angoulême et a reçu le Prix du public au Festival War On Screen ; leur précédent film « Les Fantômes » a fait l’ouverture de la semaine de la critique à Cannes. À suivre…
En salles le 27 novembre
En avant-première au Cinéma La Salamandre à Morlaix
Créée
le 18 nov. 2024
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