Derrière la caméra, Paul Newman propose avec ce film l’un des plus beaux portraits de femme qu’il m’ait été donné de voir au cinéma. Que de modernité contenue dans cette courte pellicule de 1968. Le réalisateur américain fait montre d’une sensibilité pudique mais bien réelle pour évoquer la vie de Rachel (Joanne Woodward, femme du cinéaste), trentenaire dépressive et asociale, n’ayant jamais connu les plaisirs de la chair et subissant l’influence délétère de sa mère sur son existence.
Grâce à un montage qui tient bien souvent du génie, et des transitions notamment d’une grâce rare, Newman met en relation la vie quotidienne de Rachel avec son enfance perturbée. Fille de croque-mort, cible de harcèlements de la part des autres enfants, elle conserve aussi de sa jeunesse une expérience particulièrement traumatique. La mise en scène de Newman est une merveille de dépouillement, sublimée comme je l’ai dit plus haut par l’inventivité de son montage, ciselé au possible. Cela permet à son film d’être narré avec une élégante fluidité tout à fait délectable.
L’histoire découle quant à elle naturellement de cette maîtrise formelle (qui est tout sauf académisme !). Sous son aspect faussement simple, elle recèle toute une myriade de thématiques alors très occultées par Hollywood, tel le désir sexuel refoulé des femmes, l’homosexualité ou encore l’avortement. Des sujets tabous, distillés à la perfection à mesure que s’agglomèrent les différents personnages à la trame de Rachel, dont l’introspection psychologique est un modèle d’aboutissement et de sensibilité.
Paul Newman est un John Sayles avant l’heure pour ce qui est de cette capacité à concentrer en une poignée d’individus des sentiments sincères, traités avec une justesse imparable, tout en conservant un regard « à vue d’homme » et fortement personnel sur le plan formel. Newman est néanmoins fort de sa large expérience face caméra. Un double rôle qui s’en ressent dans sa direction d’acteurs, époustouflante, et qui n’a rien à envier à celle d’un Cassavetes, lequel savait également sublimer sa femme (Gena Rowlands) dans des rôles d’anthologie, avec tout le sérieux qui lui était dû… Rachel, Rachel est un film magnifique, et un coup de maître pour Newman qui signait ici son tout premier film.