La scène d’ouverture de Rage constitue à la fois une promesse et une synthèse du film. Une atmosphère froide, un environnement boisé, de longues routes de la campagne canadienne, une femme, un homme, une moto : la promesse d’un accident à venir.
Les deux amoureux roulent à toute vitesse, la tension monte, un camping-car tente de faire demi-tour mais peine à redémarrer, le choc est inéluctable. C’est le fameux crash cronenbergien.
La touche finale de cet accident, c’est qu’il se produit non loin d’une clinique de chirurgie esthétique. Une clinique à l’architecture moderne qui dénote totalement de l’environnement naturel dans lequel elle tente de se fondre. Une clinique qui n’est pas sans rappeler les bâtiments de Stereo et de Crimes of the Future.
Une patiente convalescente découvre par voyeurisme le crash en question et contemple les flammes excitées par l’air venteux et attirées par la force magnétique des cieux.
C’est par le voyeurisme - de Cronenberg derrière sa caméra et de la patiente à travers les jumelles - que le film est lancé.
À l’instar des deux premiers films du cinéaste, Frissons et Rage peuvent être également - dans une certaine mesure - appréhendés comme un diptyque. Dans ces deux longs-métrages, la femme est le cobaye d’un médecin et subit des expériences qui vont entraîner la mutation d’un parasite dans le corps du cobaye. Suite à cela, le médecin va être puni (dans Frissons, il se suicide, ici, il est contaminé par son cobaye) et les contaminations vont s’enchaîner au point de donner une dimension de survival à l’histoire.
On peut d'ailleurs voir dans les quatre premiers films de Cronenberg une évolution logique et graduelle de la contamination. Dans Stereo et Crimes of the Future, on lorgnait du côté de la théorie et d'un huis-clos étouffant : les effets néfastes de l'expérience ne se produisaient qu'entre les cobayes. Par la suite avec Frissons, il s'agit toujours d'un huis-clos qui est néanmoins plus frissonnant et avec une vision bien moins théorique. La scène finale de Frissons est dans un sens une ouverture qui annonce Rage, le long-métrage suivant. Rage n'est pas un huis-clos, la contamination n'a plus de frontières.
Le sexe et la mort sont intimement liés, en témoignent les attitudes de Rose, le personnage principal.
La Rose est belle mais piquante, par son regard elle vous attire, dans ses bras elle vous serre. Elle finit par vous planter, car qui s’y frotte s’y pique. Vous n’aurez pas le tétanos, mais la tête ailleurs, l’esprit et le corps incontrôlables, les bas instincts prennent le dessus au point de mordre les âmes et chairs innocentes étrangères.
Les corps s’unissent, la mort sourit.
Rage est aussi la vision de Cronenberg sur les comportements humains face à une crise épidémique. Pour éviter la propagation de l’épidémie, l’État est mis en quarantaine. Pourtant au départ l’action des pouvoir publics est dénoncé, le maire en fait les frais puisqu’il ne semble pas prendre l’épidémie au sérieux. Heureusement, ça n’arrive que dans la fiction que les pouvoirs publics ne gèrent pas correctement une crise sanitaire…
Le motif de la fuite
Rapidement (et contrairement à Frissons), le danger est présent. Au départ, il s’agit de soigner les contaminés en les vaccinant (ce qui est du ressort du monde de la santé) puis finalement il ne s’agit plus d’être attentiste mais de passer à l’action par le meurtre (ce qui est du ressort de l’armée). Ainsi, on assiste à des scènes où les forces de l’ordre fusillent les zombies enragés. La survie des uns passe par la mort des autres.
Face à ce danger, il faut fuir. La fuite s’effectue par le mouvement. Le métro, les voitures, les camions, la moto sont autant de composantes de la fuite. Les moyens de transport favorisent la fuite tout en étant vecteur de contamination. Typiquement, Rose contamine un camionneur qui la prend en stop. On peut également relever l’attaque dans le métro, qui légitimement sème le vent de la panique et génère une nouvelle contamination.
Seulement, on regrette l’aspect presque « réchauffé » du film, qui ressemble très (trop) fortement à Frissons. La musique inquiétante se marie parfaitement à la froideur des images, mais le personnage principal étant dès le départ condamné, on peine à trouver de l’intérêt à l’histoire. Car au bout du compte, la Rose suit le cycle de la nature : elle émerveille, pique puis fane. Une fois fanée, elle est ramassée puis jetée à la poubelle.
Après cela, le souffle cynique du vent poussera la Rose vers le néant.
(6,5)