Source : http://shin.over-blog.org/rambo-firstblood.html
Rambo (First Blood) fait partie de ces films dont la portée est grandement minimisée en raison de préjugés tenaces. Dans l'esprit de beaucoup, lorsque l'on fait référence à John Rambo, vient d'abord l'image de ce super-soldat patriote aux mitraillettes rutilantes qui canarde bourrinement tout ce qui bouge. Si l'on s'en réfère aux second et troisième opus, ça n'est pas totalement faux. Bien que particulièrement jouissives pour les amateurs du genre, ces suites ne sont pas réputées pour la très grande subtilité de leur scénario. Et pourtant, réduire le personnage à cette caricature grossière est une erreur que ne peuvent commettre ceux qui connaissent le premier opus. Car si les volumes deux et trois utilisent effectivement le personnage de John Rambo dans des films patriotiques très pro-américains (où l'action de l'armée est largement glorifiée), le premier volume nous offre une vision diamétralement opposée. Et s'il est également question ici de rendre hommage à la capacité d'intervention des Bérets Verts durant la Guerre du Vietnam, il s'agit avant toute chose un véritable drame psychologique dénonçant les horreurs de la guerre et les traumatismes qu'elle peut engendrer. Comme le fut Rocky premier du nom en son temps, Rambo est une oeuvre éminemment humaine où l'homme est placé au centre du récit, et où sa place dans le monde ne cesse d'être questionnée. Rocky Balboa et John Rambo portent en eux la signature de leur interprète principal, Sylvester Stallone, scénariste du premier et co-scénariste du second (et qui peine alors lui aussi à se faire une place à Hollywood en-dehors de l'image du boxeur Rocky qui lui colle à la peau).
Vétéran de la guerre du Vietnam intérieurement détruit et sans aucun repère social, John Rambo est aussi une machine de guerre à l'efficacité implacable façonnée par l'armée américaine. Ce pur produit de la guerre froide symbolise à lui seul tous ces individus ayant sacrifié leur vie pour leur patrie, tous ces individus que leur pays, une fois le devoir accompli, semble avoir depuis bien du mal à assumer, comme honteux de ces vestiges d'un passé que l'Amérique préférerait visiblement oublier (une thématique récurrente du cinéma américain, qui sera d'ailleurs remis au goût du jour via la saga Jason Bourne, et sa machine de guerre créée pour combattre le terrorisme avant d'être tout aussi sournoisement abandonnée). Loin de n'être qu'un vulgaire film d'action bourrin attendu, ce premier First Blood s'avère donc être surtout la critique virulente de cette Amérique bien-pensante qui aura, au lendemain de cette désastreuse guerre aux tragiques conséquences humaines, lâchement laissé tomber tous ces braves soldats pourtant partis combattre en son nom. Fortement encouragés et soutenus au moment de leur départ par une majorité d'américains, ces jeunes soldats se sont ainsi retrouvés très largement conspués et rejetés par l'opinion publique lors de leur retour au bercail après le fiasco total que représenta ce lourd conflit. Autres époques, autres mœurs. En quelques mois, à peines quelques années, le sens du vent et de l'histoire avait définitivement changé. Et pourtant, comme le rappelle à juste titre John Rambo lors de son émouvante tirade finale, ces jeunes soldats n'ont pas choisi cette destinée : « C'était leur guerre, pas la mienne ! ».
« They drew first blood, not me. »
De façon assez ironique, First Blood montre donc comment cette machine à tuer – interprété par un bouleversant Sylvester Stallone (prouvant déjà qu'il vaut bien mieux en tant qu'acteur que l'insupportable réputation de "pire acteur du siècle" que ces tocards des Razzie Awards lui ont attribué) – créée par les militaristes de Washington va se retourner contre ces officiers civils de l'Amérique profonde. Ceux-ci étaient pourtant les premiers à soutenir l'utilisation de la force et des interventions militaires à l'étranger. Mais désormais, dans cette nouvelle Amérique peace & love de la génération Woodstock, un vétéran de guerre héroïque comme John Rambo n'inspire plus que mépris et rejet. Dans ce monde changé, les anciens soldats n'ont visiblement pas eux le droit à cet amour et à cette paix prônées par cette société nouvelle. Le shérif interprété par Brian Dennehy incarne d'ailleurs parfaitement ce paradoxe. Totalement détestable, son personnage fait ici preuve d'un incroyable acharnement, autant désespérant que désespéré, dans ce combat perdu d'avance. Un combat qui est autant celui qu'il mène contre John Rambo que contre lui-même ; à l'image de cette Amérique qui aimerait désormais bien oublier cet échec cuisant ; peu importe les moyens employés, et tant pis si certains en paient le prix fort. Vagabond mentalement atteint et désœuvré – et dont les talents paraissent désormais inutiles en société – John Rambo est à présent assez loin de l'image glorieuse du vaillant soldat qu'il représentait alors quand il fut envoyé sur les champs de bataille. Irrémédiablement changé par toutes les expériences traumatisantes qu'il a subi aux Vietnam, notre héros s'est progressivement enfermé dans une sorte de mutisme. Ce qui fait passer ce marginal pour un attardé aux yeux des gens du peuple ; personne ne parvenant à saisir l'ampleur de ses séquelles psychologiques.
Le roman dont le film a été adapté, First Blood, fut rédigé par David Morrell. Pour rédiger ce qui allait devenir son premier roman, cet ancien professeur s'inspira des expériences vécues par ses propres élèves lorsqu'ils furent envoyés au Vietnam, avec comme objectif de sensibiliser l'opinion publique quant au problème de la réinsertion de tous ces vétérans malmenés par les aléas de l'histoire et les changements politiques. Lorsqu'ils avaient quitté l'Amérique de Kennedy, ils pensaient agir pour le bien de leur pays. Mais, à leur retour du Vietnam, c'est une Amérique post hippie moralisatrice et honteuse qui les attendait avec comme seul accueil que de sévères critiques et un rejet massif. À ce titre, le film respecte assez fidèlement l'intrigue du roman. Toutefois, des aspects très importants de l'histoire ont été changés afin de faire de John Rambo une figure un peu moins tragique et impitoyable. Car si celui-ci massacre un par un tous les policiers qui le traquent et tue à nouveau une fois revenue dans la ville dans le roman, il ne se sera indirectement responsable de la mort que d'une seule personne dans le film (par pure légitime défense) et se contentera généralement de blesser ses poursuivants. Ce n'est d'ailleurs qu'à compter du second volet cinématographique que la violence supposée de ce personnage (trop vite caricaturé) sera mise en avant. De ce point de vue, en évitant de représenter John Rambo comme un assassin sanguinaire, le film apparaît comme bien moins caricatural que le roman. Une différence notable devant beaucoup à Sylvester Stallone – co-scénariste avec David Kozoll et William Sackheim – qui aura su faire preuve d'autant de retenue dans l'écriture que dans l'interprétation du personnage. De retour dans la ville, John Rambo détruisait la prison et le palais de justice. Dans le film, on le verra aussi détruire des magasins de jouets et de sport ; symboles de la vie américaine moderne.
« You're not hunting him.... He's hunting you. »
La plus grande différence notable entre le film et le roman concerne surtout la façon dont l'histoire va se conclure. À la fin du livre, John Rambo meurt auprès du Colonel Trautman (qui n'est d'ailleurs pas colonel mais capitaine). Plus exactement, alors que notre héros envisage de mettre fin à ses jours, mais c'est Samuel Trautman lui-même qui l’achèvera d'une balle dans la tête. Une fin alternative plus fidèle à celle écrite par David Morrell a été tournée – on peut d'ailleurs l'apercevoir en rêve dans le quatrième opus – mais les spectateurs de la projection test la trouvèrent alors bien trop sombre. Cette conclusion définitive ne sera donc pas conservée, laissant ainsi le champ libre à d'éventuelles suites (qui ne tardèrent pas à arriver).
Ce qui n’empêche pour autant pas la version finale du film de s'achever de façon particulièrement émouvante. Une réussite qui doit beaucoup à l'interprétation authentique et poignante de Sylvester Stallone. L'acteur est d'ailleurs si bien parvenu, par son charisme indéniable et la qualité de son jeu (n'en déplaise à quelques zozos haters), à incarner cette machine de guerre détruite de l'intérieur qu'on imagine mal quelqu'un d'autre mieux incarner cette figure emblématique du cinéma d'action. À travers l'apparente fragilité qui émane de lui ici, nous comprenons immédiatement la profondeur des séquelles laissées par le passé de John Rambo ; un personnage bien plus complexe qu'il n'y parait. Avant d'être un film d'action lambda, First Blood est donc davantage un drame ; et l'histoire d'un homme qui n'a plus rien dans la vie, si ce n'est un couteau de survie, vestige de son passé militaire. John Rambo n'aspire d'ailleurs à rien d'autre qu'à la tranquillité et à un peu d'humanité, il veut juste pouvoir vivre. Mais systématiquement rejeté et agressé sans raison, il devra tout faire pour survivre. Plus l'on s'acharne contre lui, et plus John Rambo marquera sa différence, jusqu'à devoir livrer une guerre qu'il n'a (une fois encore) jamais voulu. La guerre est désormais inscrite dans son ADN : elle lui a tout pris, mais elle lui a aussi tout appris.
Symbolisant l'Amérique profonde et les militaristes de Washington, forces de police et armée pourront bien unir toutes leurs forces pour se lancer à sa poursuite, l'instinct militaire infaillible de John Rambo les surpassera tous. Pris au piège de cette spirale de violence croissante, ces différents personnages vont vivre une véritable descente aux enfers. Prisonniers d'une guerre tout aussi absurde que ne fut le conflit au Vietnam, ils ne trouveront la paix que grâce à l'intervention du Colonel Trautman (« Je ne suis pas venu sauver Rambo de la police, je suis venu sauver la police de Rambo » dira-t-il ainsi). Remarquablement mis en scène par le très efficace Ted Kotcheff (qui réalisera peu de temps après Retour vers l'enfer, autre variation sur le même thème avec Gene Hackman), le film dénote aussi par la qualité de ses scènes d'action et sa capacité à susciter la tension (notamment lors des séquences de chasse) ; aidé en cela par la partition mémorable et énergique de Jerry Goldmith. Une réunion de talents qui concourt à faire de ce long-métrage une référence incontournable du cinéma. Et ce, autant pour le divertissement indéniable qu'il procure que par la critique sociale réelle qu'il représente. Tout comme le titre Born in the U.S.A. de Bruce Springsteen quelques années plus tard, Rambo sera abusivement associé à l'Amérique de Ronald Reagan – ce qui n'est définitivement pas le cas de ce premier film – avant de faire l'objet d'une profonde incompréhension auprès du grand public. Et pourtant, il s'agit bel et bien ici d'un véritable pamphlet envers la société américaine, son intolérance et ses contradictions ; ainsi que de l'une des plus remarquables représentations des traumatismes psychologiques dus à la guerre. Sortir un tel film sur l'après Vietnam précisément en pleine ère Reagan, dans un climat de guerre froide plus tendu que jamais, ça reste une prise de risque non-négligeable. Et même si les opus à venir atténueront quelque peu son impact et la portée de se critique, Rambo (First Blood) n'en demeure pas moins des plus méritants, en plus d'être l'un des grands indispensables du genre.