En 1982, Sylvester Stallone est déjà un acteur reconnu, et un auteur accompli, pour son travail sur ‘’Rocky’’ en 1976, et ‘’Rocky 2’’ en 1979. Mais le rôle qui va faire de lui une superstar interplanétaire, et une légende du film d’action qui pétarade de partout, c’est celui de John Rambo. Vétéran du Vietnam complétement paumé, il ne trouve pas sa place dans une Amérique qui vit au rythme du traumatisme d’une guerre vécue comme une honte.
Adapté du roman éponyme de David Morrell, ‘’First Blood’’ est avant toute chose l’histoire d’un drame humain. Celui d’un homme formaté pour un seul but, être le meilleur au combat. Au point de laisser derrière lui une humanité sacrifiée sur l’autel de la guerre. John Rambo est un être brisé, qui depuis la fin de la guerre ne trouve plus de raison d’exister. Héros décoré de la plus haute distinction décerné par le gouvernement, il se sent abandonné par ce dernier.
Devenu plus ou moins vagabond, il est emmerdé par le connard de sheriff d’une petite ville de l’Oregon, joliment appelée Hope. Toute l’ironie du métrage tourne autour de l’idée véhiculée par ce petit patelin paisible en vitrine, qui cache en son cœur une connerie humaine insoupçonnée. Comme le confesse le Sheriff à Rambo : ‘’C’est tellement tranquille qu’on s’emmerde presque’’.
Rambo, méprisé d’être un marginal, est arrêté par une police peu bienveillante, dont l’un de ses représentant, un peu sadique, n’hésite pas à l’humilier. Le rebelle se rebiffe, trace la route avec perte et fracas (il casse des gueules, littéralement), et part se terrer dans les bois. Une chasse à l’homme se met rapidement en place, motivée par un goût pour l’action, et un manque d’adrénaline des forces de l’ordre.
Après une mort accidentelle (Il est important de noter que dans ce film Rambo ne tue absolument) la traque se transforme en véritable vendetta, alimentée par l’égo d’un sheriff blessé dans son estime. Par fierté, il voue un point d’honneur à buter Rambo. Représentés comme des incompétents notoires, le corps de police oscille entre ceux sans personnalités. Suivant bêtement des ordres de plus en plus immoraux. Et ceux qui s’éclatent à faire souffrir un pauvre hère. Un portrait représentatif de branques garants des libertés individuelles en manque d’action est ainsi proposé au spectateur.
Dans le bureau du sheriff il est possible d’apercevoir un petit cadre avec plusieurs médailles. Dont la Purple Heart, délivrée aux soldats blessés au combat. Ce cadre informe qu’il est lui aussi un vétéran. De la Seconde Guerre Mondiale, ou de la Guerre de Corée, ce n’est pas précisé. Mais clairement, ce mec s’emmerde dans une ville où il connaît tout le monde, où il ne se passe rien. L’arrivé de Rambo semble dès lors une aubaine pour évacuer des années de frustration.
Et tout ce qui touche de près ou de loin l’institution est perçue de la même manière. Lorsque la garde nationale intervient, c’est la foire. Entre le type chargé des émissions radios, qui lit un magazine, ou un gradé qui explique qu’il ne doit pas rentrer trop tard, parce qu’il doit ouvrir son magasin le lendemain matin… Les soldats sont des amateurs, un peu beaufs, un peu nazes, venus prendre leur dose d’action, sans en faire trop. Sauf qu’en face ils ont une machine de guerre qui ne les épargnera pas.
Dans la ville paisible, et dans le commissariat, il y a des décorations de Noël, qui témoignent d’une vie rythmée par la tradition. Or, pour Rambo cela ne veut plus rien dire. Il n’est plus qu’un animal sauvage en liberté. La manière dont son colonel le vend est ainsi équivoque. Il énonce des qualités que Rambo possède, mais non pas en vain, puisque la mise en scène montre Rambo tel que décrit par son supérieur. Ne tombant pas dans un piège fréquent qui est de décrire des personnages bad ass, sans les montrer comme tel.
‘’First Blood’’ c’est une œuvre complexe, par son approche peu reluisante de l’Amérique profonde, et du retour chaotique des vétérans du Vietnam. La guerre ayant été mal vécue, ses combattants n’ont pas reçu les louanges réservées à ceux de la Seconde Guerre Mondiale ou de la Corée. Le Vietnam est une guerre impopulaire, et le pays cherche à cacher ses vétérans, comme autant de cicatrices à camoufler.
Portrait d’une Amérique qui refuse de se regarder en face, pour assumer ses erreurs. Au point que les vétérans en viennent eux-mêmes à incarner ces erreurs. Pour exemple, le sheriff reproche à Rambo d’arborer fièrement un drapeau américain sur sa veste militaire. Comme si ces combattants étaient des parias, ne méritant même pas de porter les couleurs d’un pays qui les a envoyés à l’abattoir.
Œuvre relativement atypique, qui n’est pas celle dont on se souvient lorsque Rambo est évoqué (ça c’est l’image façonnée par les suites), le métrage de Ted Kotcheff se présente comme une œuvre pacifiste, antimilitariste, apportant une réflexion sur le traumatisme national. Profondément patriotique, à l’instar de l’émouvant monologue final tenu par Rambo (drôle en VF, poignant en VO), qui en trois minutes résume parfaitement l’ensemble.
Un anti-climax qui vient contrebalancer une séquence explosive, où Rambo fait exploser une station service, une armurerie, et descend le sheriff (lui laissant la vie sauve). La séquence commence comme la fin d'un western, avec la confrontation dans une ville entre assiégés et assiégeurs. Puis prend une tournure tout à faire dramatique, qui donne de la résonnance à l'ensemble de l'œuvre.
Pas vraiment un film d’action, pas un film de guerre, ‘’First Blood’’ est un survival efficace, jonché d’une tonne de thématiques prêtant toutes à réflexions. Telle que la place des vétérans, entre ceux qui n’arrivent pas à retrouver une vie normalisée, et ceux qui ont réussis, mais qui s’ennuient tellement que lorsque l’aubaine se présente ils sautent sur leurs flingues.
Profondément anti-fédéraliste, ce film présente la police sous un jour négatif, et attaque un gouvernement incapable de prendre soin de ceux qu’il a lui-même brisé. Méfiant envers les dérives d’un État centralisé, il se rapproche du mode de pensé Libertarien, dont est assez proche un artiste comme Sylvester Stallone. Mais attention, cela ne veut pas dire que ‘’First Blood’’ est une œuvre réactionnaire (ça c’est le 2). Même si elle est à voir comme conservatrice, proche de la politique mise en place petit à petit par Ronald Reagan.
Un conservatisme qui prendra une ampleur hallucinante dans le second volet, et qui ici sort peu des cadres dressés par un scénario attaché à faire reconnaitre ceux qui se sont battus pour leur pays. Ces héros inconnus méprisés après leur retour au bercail. Une réaction inverse à ceux de la Seconde Guerre Mondiale, ou dans une moindre mesure de la Guerre de Corée, revenu au pays acclamés en héros.
Plus qu’un banale film d’action, ‘’First Blood’’ c’est un acte complexe sur la notion du libre-arbitre patriotique. Comme une réaction conservatrice aux productions libérales (dans le sens américain du terme) prenant la Guerre du Vietnam comme cadre, apparues dans les années 1970 : ‘’Apocalypse Now’’, ‘’Hair’’, ‘’The Deer Hunter’’, ‘’Coming Home’’, en tête. En quelque sorte, les conservateurs reprennent à leur compte la Guerre du Vietnam pour retourner le truc, afin de faire de ses combattants des héros, de vrais Américains sans commune mesure.
Avec les années 1980 deux courants parcourent le cinéma hollywoodien à partir de ‘’First Blood’’. Un courant qui s’enfonce dans une mélasse réac et complétement conne, au point d’en devenir presque ridicule (Rambo 2), ou franchement pathétique (‘’Missing in Action 2’’). Quand l’autre courant, porté par Oliver Stone, cherche à aborder la Guerre du Vietnam avec des réflexions jumelles, mais plus approfondies. ‘’Platoon’’ en 1986 venait présenter des soldats conservateurs, là pour tuer du vietcong, mais aussi des soldats présents parce qu’ils ont été tirés au sort. Deux poids, deux mesures. Il est également possible de citer, dans cette veine, la première saison de la série ‘’Tour of Duty’’ en 1987, ou ‘’Hamburger Hill’’ la même année.
‘’First Blood’’ est l’une des œuvres les plus importantes des années 1980, puisqu’elle met en place tout ce qui fera le cinéma reaganien, et ce, jusqu’à la fin de la décennie. Mais c’est aussi l’une des productions essentielles du Hollywood d’après-guerre, qui arrive à un moment où les Américains recommencent à faire confiance à leur gouvernement.
Après des 70’s entachées par la découverte des mensonges de Lyndon Johnson (pour aller faire la guerre contre les viets’) et le Watergate, le peuple était devenu méfiant envers son élite dirigeante. Mais avec l’arrivé de Reagan à la Maison Blanche, la confiance revient. Alors que le pays s’enfonce dans un conservatisme extrême, autant politique que religieux.
En 1982 la Guerre du Vietnam est encore un sujet tabou, même si à la fin des années 1970 des films ont commencés à l’aborder, c’est la première fois qu’un vétéran est mis en scène avec un tel réalisme. Ce qui renforce l’injustice appuyée par les forces de l’ordre, représentantes désuètes du gouvernement, livrées à elle-même, et le prenant à partie. Alors qu’au final, le vrai Américain, celui qui défend les valeurs de justice, de vérité et de liberté, et bien c’est Rambo. Devenu le porte étendard d’une Amérique sur le retour, bien décidé à remporter une fois pour toute cette guerre devenue un combat intime.