En 2018, John Lasseter quittait la tête de la Walt Disney Feature Animation à la suite d’accusations d’harcèlement sexuel. Il laisse dans son sillon un studio en pleine forme, gargarisé par des succès commerciaux tels que La Reine des Neiges, Raiponce ou Zootopia pour ne citer qu’eux. Lorsqu’on lit Creativity,inc, le livre du fondateur de Pixar Ed Catmull, on se rend compte de l’impact énorme qu’a eu Lasseter sur la réorganisation d’un studio au bord de la fermeture. Raya et le Dernier Dragon s’impose donc comme une relève symbolique dans la mesure où il s’agit du premier film original qui ne vient pas d’une franchise instituée pendant l’ère Lasseter.
Après Mulan et bientôt suivi par le film Marvel Shang-Chi, Raya et le Dernier Dragon est une nouvelle tentative pour Disney de draguer les marchés asiatiques (pour ne pas dire chinois). Kumandra est un pays divisé en tribus depuis que les dragons se sont sacrifiés pour créer une Orbe capable d’arrêter les Druuns : d’horribles créatures informes dont le simple toucher transforme en pierre. Le père de Raya, devenu protecteur de l’Orbe, souhaite réunifier toutes ces tribus autour d’une même bannière. Malheureusement, sous couvert de bonnes intentions, certains ont d’autres plans en tête ce qui mènera au retour des Drunns et au début d’une grande période de chaos. Dix ans plus tard, Raya est à la recherche du dernier dragon du titre, dans l’espoir de sauver un monde dévasté par la rancœur et les rivalités. Il est facile de faire un parallèle entre cette volonté d’unification présente dans le reste du récit à travers les compagnons recrutés lors des passages chez chaque tribu ; et l’histoire d’un pays comme la Chine, à l’époque divisée en une multitude d’états, qui n’auront de cesse de se faire la guerre pendant des siècles jusqu’à fusionner en nation unie que nous connaissons actuellement. Le monde de Kumandra (rien ne semble exister hors de ses frontières) prend d’ailleurs la forme d’un dragon où chaque tribu, inspirée par différentes cultures asiatiques, est appelée selon le membre sur lequel il est installé. Belle idée, malheureusement rattrapée par un symbolisme lourd lorsqu’on a compris son fonctionnement : la tribu des Crocs sont les “méchants” et la tribu du Cœur les “gentils”... Je vous laisse donc deviner dans quel “camp” se situe la tribu des Griffes ou la tribu du Dos.
L’amour et le respect de l’équipe artistique autour des designs de l’univers et des différentes tribus transparaît dans les magnifiques décors et costumes qui traversent tout le film. Les polémiques autour de “l’interchangeabilité des cultures asiatiques” sont justifiables néanmoins sévères face à cette volonté de bien faire (peut-être trop ?). Enthousiasmante au possible, la promesse d’un monde médiéval post-apocalyptique ; à l’image de la première demi-heure mêlant cinéma de sabre asiatique, Mad Max et Indiana Jones de manière décomplexée, n’est finalement pas tenue. Les conséquences de la libération des Druuns sont peu ou pas traitées dans la suite du récit. Des villes entières arrivent à prospérer sans jamais que le coût de cette survie nous soit présenté. On le devine à travers quelques plans sur des victimes statufiées sans jamais ressentir le désespoir d’un monde en fin de vie. Quelque chose d’étonnant au sein d’une production familiale aurait pu se créer, mais c’est la sécurité qui a été choisie une nouvelle fois.
Il est intéressant d’analyser à quel point Raya et le Dernier Dragon essaye de s’éloigner du manichéisme, marque de fabrique des productions Disney depuis la création du studio. Même si certains efforts dans ce sens avaient été fournis sous l’ère Lasseter, on sent que le film est tiraillé entre une conception plus moderne de sa narration et la tradition du conte, chère à Walt Disney. Sur un postulat légèrement similaire à celui du Roi Lion, Raya perd son père à la suite d’une trahison et doit, à travers un parcours initiatique truffé d'aventures, sauver son monde de créatures purement maléfiques. Cependant, là où Le Roi Lion s’appuie sur de grandes références dramaturgiques tels que le Voyage du Héros, Shakespeare ou les contes de fée (et Ozamu Tezuka, mais le terme “s’appuyer” serait un euphémisme), Raya et le Dernier Dragon puise avant tout ses inspirations des avancées scénaristiques actuelles. Là où le premier suit des chemins balisés foutrement efficaces, le deuxième s’écroule sous le poids de thématiques qu’il n’arrive pas à traiter décemment dans un chemin, finalement, tout aussi balisé. L’incohérence des personnages dans le dernier quart de l’intrigue et la naïveté de sa résolution nous renvoie à ce que le cinéma américain a pu produire de plus bateau ces quarante dernières années. N’est pas Pixar qui veut.
Ainsi, les “méchants” présentés très tôt ne le sont pas tant par vilenie que par nécessité, sans que cela soit réellement développé. Il y a une telle volonté d’humaniser tous les personnages et de rejeter l'archétype, que la protagoniste finit par paraître creux et terne comparée à ses compagnons de voyage. On pense notamment aux personnages de bébé voleur et de ses amis singes qui n'auront de cesse de gagner notre affection grâce à l’ingéniosité de leur utilisation dans les scènes d’action. La merveilleuse poursuite dans les rues de la tribu des Griffes n’est d’ailleurs pas sans rappeler une scène similaire dans le Tintin de Steven Spielberg. Il existe pourtant une règle très simple en dramaturgie : le protagoniste doit être le personnage qui vit le plus de conflits, s’il s’agit d’un autre personnage, mieux vaut changer de protagoniste. Le problème, c’est que la rivale de Raya, Gemma, traverse bien plus d’épreuves que Raya. Notre empathie se tourne donc naturellement vers elle malgré ses nombreux coups fourrés. En toute logique, le film aurait gagné à s’appeler Gemma et le Dernier Dragon.
Animé par de bonnes intentions, Raya et le Dernier Dragon peine à concrétiser ses ambitions et nous laisse un goût amer d’indifférence. On ne passe pas un moment déplaisant mais en moins d’une semaine, le film n’est plus qu’un vague souvenir. Il faut tout de même souligner la belle prestation vocale d’Akwafina et le retour de Kelly Mary Tran après les vagues d’harcèlement post Les Derniers Jedis. Est-ce que ce sera suffisant pour l’extirper de la malédiction qui entoure les acteurs des Star Wars controversés ? L’avenir nous le dira.
Critique originale : https://www.lecroqueshow.com/post/critique-raya-et-le-dernier-dragon-disney-et-dragon-bleu