Comment Spielberg a-t-il pu autant louper son message ? Érigé pour l’occasion en parangon des geeks, le gars Steven se fourvoie le doigt dans l’œil bionique. Il semble se fier tellement à son aura qu’il en oublie de sonder le fond de sa forme. Comme aspiré dans l’érection de son monolithe pop, au point de tourner un autre film pendant sa post-production – le fonctionnel mais sans âme Pentagon Papers – Gonflé à bloc par des effets spéciaux parfois efficaces, souvent boursoufflés. Et emmené par un scénario démuni de surprises, jamais reversant, pétri de manichéisme.
Dans la distopie grisâtre de Ready Player One, tout le monde vit par procuration. Le temps libre s’engouffre dans l’Oasis, un jeu tentaculaire et fourre-tout qui se targue de drainer l’essence de la pop culture vers ses arcanes. L’immense problème vient de ce postulat : la population entière joue à un logiciel qui n’a rien de ludique. Désincarné, ce soit-disant titre ultime ne voit jamais ses mécaniques exposées, son gameplay mis en scène. Les seuls coups de projecteur valorisent les skins, ces améliorations cosmétiques qui distinguent les plus friqués.
Le jeu ne sert que de toile de fond à une quête qui le suplombe : l’accession à un piédestal toujours plus imposant. La maîtrise spectaculaire de Spielberg, à son zénith durant la première demi-heure, se met au service d’un discours grégaire anti-technologie. Jusqu’à sa péroraison fatale : pour réguler la pratique du jeu vidéo, l’interdir serait la seule solution (l’OMS lui met un pouce bleu). Comme si cet art, ici jamais symbolisé comme un loisir bénin, demeurait immiscible dans un quotidien sociétal. Comble de l’hagiographie : Ready Player One assassine son doudou. À l’instar d’un enfant trop fier pour assumer sa candeur.