Critique rédigée en avril 2018
71 ans et toutes ses dents, Steven Spielberg n'a plus rien à prouver aujourd'hui. Auteur d'une trentaine de films marquants et aux genres variés tels que la saga Indiana Jones, La Liste de Schindler, Jurassic Park, Il faut sauver le soldat Ryan, E.T. et Duel, pour ne citer qu'eux, le réalisateur semble pour le moment malheureusement se désintéresser à la production de la suite des Aventures de Tintin: Le secret de la Licorne (2011), actuellement prévue courant 2019 et réalisée par Peter Jackson (que j'attends je dois dire, depuis la sortie du premier en 2011 que j'avais tant adoré), mais ce n'est pas l'échec commercial de ses deux derniers films, à savoir Le Bon Gros Géant (2016) (échec que ce dernier ne méritait pourtant pas) et Pentagon Papers (2017) qui va le faire renoncer à réaliser les rêves de millions de spectateurs dans le monde.
Seulement quelques mois après la sortie de Pentagon Papers, thriller politique n'ayant pas obtenu le succès escompté en salles sort la grosse surprise blockbuster de ces quatre premiers mois de l'an 2018 : Ready Player One, film de sience-fiction et d'action adapté de l'oeuvre romanesque éponyme de Ernest Cline (2011), dont je n'avais à première vue pas énormément de grandes espérances, n'étant pas amateur de trailers et n'étant même pas tombé sur l'une d'elles par hasard au cinéma.
Un bombardement de bonnes critiques, de nombreux 9 voire 10/10 de la part de mes éclaireurs, doublé par un énorme succès commercial, et surtout une séance à 17h45 ce pluvieux dimanche 15 avril 2018, voici les raisons qui m'ont poussé à aller voir Ready Player One (abrégé RPO).
Le film nous plonge en 2044, dans une cité futuriste rongée par les changements climatiques, la pauvreté et un chaos des plus totaux, et dans lequel la seule raison de vivre pour ses habitants est devenue l'OASIS, une société de réalité virtuelle bien-sûr semblable à un jeu vidéo créée par James Halliday, informaticien de génie. Or, lorsque ce dernier meurt, Wade Watts, un jeune orphelin de 17 ans de classe moyenne et d'autres geeks des plus assoiffés se voient confié une mission: celui qui parviendra à retrouver trois clés cachées dans l'univers se verra remettre par l'avatar d'Halliday le trophée qui lui parviendra à prendre le contrôle, à son tour, de l'OASIS: le Easter Egg, en plus de 500 milliards de dollars de récompense. Pour cela, Wade choisit un avatar du nom de Parzival et aura par la suite à affronter de nombreuses épreuves (course jugée impossible, jeux de plateformes, etc.) et de nombreuses rencontres, dont Artémis dont il tombera amoureux, même lorsqu'il découvrira qui se cache derrière son apparence...
Grosso modo, il est question ici de jouer pour vivre, et non pas vivre pour jouer.
Je ne vais pas passer par quatre chemins: RPO est plus que MA surprise ciné de l'année ; elle est la preuve vivante que le blockbuster, ou autrement appelé cinéma de divertissement tient toujours debout et, contrairement à ce que beaucoup croient, n'est pas MORT!
A mi-chemin entre Le Labyrinthe de Pan (2006), District 9 (2009), Tron (1982) ou encore Avatar (2009), l'inévitable Spileberg nous livre ici un petit joyaux d'humour, de trouvailles, de références, et surtout de vérité.
Et pourtant, dieu sait que je craignais le pire dès le début ! Un univers post-apocalyptique peuplé de personnes douteuses très proche d'un bidonville, avec des touches de fantastique ne m'est pas sans rappeler ma déception face à Pacific Rim (2013) de Guillermo del Toro. Heureusement, ma crainte fut plutôt de courte durée, puisque Spielberg va d'entrée de jeu avec le scénario et promet un film au rythme rapide dans sa globalité, ce qui fait que l'ennui ne pointe pratiquement jamais son nez sur les 135 minutes qui le composent.
Firstly
Selon mon interprétation, ce film est toute la métaphore d'un futur probable, marqué par un monde dévasté là ou toute trace de vie sur terre diminue peu à peu, et ou toute forme d'habitation se limite de plus en plus, comme dans District 9 (2009), et surtout, une terre ou les nouvelles technologies ont totalement obtenu le contrôle et le respect le plus total envers l'Homme. Le film se déroulant en 2044, soit dans une vingtaine d'années d'ici, nous fait imaginer qu'à l'avenir, la culture sera en quelque sorte trop vaste pour ne pas être impliquée dans le quotidien, c'est pourquoi il se démarque par une flopée omniprésente de références à la culture populaire.
"C'est la culture qui nous étouffe" a déclaré un jour ma prof de musique en classe de 6ème. Et elle n'avait pas tort, en fait... car ici, la culture geek (jeux vidéos et films) devient la seule raison de vivre pour l'Homme et, dans le film, pousse certains personnages à effectuer une action plutôt qu'une autre, plus raisonnable
(par exemple, le petit ami de la mère de Wade dépensant toutes leurs économies destinée à un déménagement vers l'Ailleurs, juste pour rentrer et jouer à l'OASIS).
Il nous est donc livré une critique constructive des nouvelles technologies (mais pas que, on peut aussi passer par l'amour du jeu), éloignant le faux du vrai et présenté comme "destructeur" de notre planète, le tout sans surrenchère de gros effets spéciaux inutiles, mais au contraire très bien utilisés et sans excès.
Toute l'histoire de la relation entre les avatars de Wade et de sa bien-aimée Samantha représente l'absence d'émotion à l'état de nature probable à l'avenir:
En effet, les deux personnages se rencontrent et tombent amoureux dans l'OASIS et ne se rencontrent "réellement" qu'assez tard. A ce moment, deux types d'interprétation peuvent survenir: soit nous pouvons songer que la liaison entre les deux personnages ne pourrait pas fonctionner puisqu'elle n'est pas née dans un cadre réel, soit que les nouvelles technologies seraient favorables à la rencontre avec l'autre, écrasant toute l'efficacité d'une vraie rencontre physique. De plus, la réelle Sam est complexée par une tâche de naissance et craint que Wade ne la rejette à cause de sa véritable identité.
En quelque sorte, c'est le contraire du film dans lequel le héros/héroïne doit détendre la bête sommeillant en son/sa partenaire afin d'en extraire la "substantifique moelle" du Moi.
Secondly
Puis, par le biais de cette dénonciation de la "pop culture" et du goût du paraître, le film nous livre une représentation de la fermeture au monde réel et la descente aux enfers progressive du monde de manière dystopique/ post-apocalyptique, qui me rappelle fortement une pièce de l'irlandais Samuel Beckett, en particulier Fin de partie, pièce se déroulant elle-même dans un monde post-apocalyptique jouant sur un monde dévasté et un cadre spatio-temporel atypique, et sur le thème du jeu, surtout le jeu de faire semblant: en effet, dans le film, pour fuir une réalité misérable, les personnages rentrent dans un monde virtuel, donc faux, afin de passer du bon temps et surtout, le faire passer (dans la pièce, les deux héros, Hamm et Clov, jouent à faire semblant, par exemple, de posséder un animal, en réalité faux). Dans les deux cas, les personnages ont atteint un terme dans leur vie réelle, c'est pourquoi au lieu d'attendre la Mort, ils jouent à se créér une nouvelle forme de mode de vie et une nouvelle forme d'identité afin de combler l'existence d'un Ailleurs impossible et d'un Moi inconfortable. Nous pouvons par ailleurs souligner les références aux récits moyenâgeux ici remis au goût du jour, notamment au niveau des noms des avatars des personnages principaux (comme les personnages de Beckett, ceux de Spielberg ont des noms symbolistes).
"Jouer pour exister?"
While...
Le film ouvre de nombreux sujets de dissertations et de très nombreux types d'interprétations, à différents degrés de lecture, ce qui fait tout le charme d'un blockbuster intelligent.
Cependant, il ne faut pas croire, par exemple, que le film critique entièrement l'usage des jeux vidéos et du chamboulement que provoque ceux-ci dans le quotidien.
Spielberg nous offre un véritable hommage à l'art, surtout l'art du "geek" qui sommeille en lui (son père étant lui-même informaticien de son vivant, les vestiges d'un réel caché !), à travers une énorme fourmilière à références culturelles, toutes superbement amenées et qui font sourire pour la plupart, et sans tomber dans le piège de la publicité commerciale et l'accumulation sans intérêt de références.
En fait, dans un premier lieu, tout le concept de l'OASIS serait l'utopie d'un monde nouveau et dans lequel tout homme peut s'épanouir, tel au quotidien, à travers son rapprochement au jeu, ou encore au cinéma, pratiquement devenus deux formes de "spectacle vivant" ;
toute la scène de détournement de Shining (1980) de Stanley Kubrick est un exemple de "spectacle vivant", puisque Wade, Aesh et Sam rentrent dans le film et le vivent.
Cette représentation d'un monde ou le domaine artistique règne en maître ne peut qu'envoûter les spectateurs qui comme moi, ne peuvent se passer de l'art moderne (même si les jeux vidéos ne font pas forcément partie de mes principaux intérêts) et même de l'art en général, le tout ponctué d'un humour ravageur jouant principalement là-dessus, et sur l'auto-dérision
(Spileberg va jusqu'à faire quelques références à ses propres productions, dont Jurassic Park et Le Géant de fer, ce dernier ayant une place importante à la fin de l'intrigue!)
Lastly
Passons rapidement sur les acteurs: Tye Sheridan (Mud, 2013) se débrouille bien dans le rôle de Wade, personnage attachant et dans lequel je me suis reconnu (pratiquement le même âge, les mêmes atomes crochus, etc. ^^) ; la rousse Olivia Cooke, que je ne connaissais absolument pas, est également un personnage intéressant à suivre grâce aux mystères qui l'entourent, ses rapprochements cachés avec Wade et sa place dans le déroulement de l'histoire. Quant à Simon Pegg, seul acteur "grand public" apparaissant dans le film... m'a hélas indifféré dans son rôle.
Aussi, nous soulignerons l'absence de l'habituel John Williams à la composition de la bande originale, et cela se sent: c'est Alan Silvestri qui prend sa place et présente une BO plutôt sympa, mais qui préfère laisser davantage place à des morceaux préexistants trouvant leur place dans le déroulement de l'histoire.
In conclusion
Ainsi, tantôt critique de la culture geek, tantôt hommage aux années 80-90, RPO est un véritable régal à tous les niveaux: images, personnages, dialogues, et surtout effets spéciaux. Tout est varié, ouvert, facile d'accès et sans abus, tout en s'écartant de l'univers spielbergien habituel, ce qui en fait l'un de ses films les plus intimes et les plus à partir, et très certainement LE film à gros budget à voir de cette première moitié d'année. A présent, nous pouvons nous demander quel résultat Spielberg va nous offrir avec son prochain film, The Kidnapping of Edgardo Mortara, en 2019, me semblant être comme une sous-Liste de Schindler, et, éventuellement, un cinquième et dernier vollet de l'extraordinaire saga Indiana Jones, avant la production (depuis tout ce temps...) du second chapitre de Tintin, réalisé par Peter Jackson si tout se passe comme prévu.