Le souvenir d'un moment précis peut-il contenir une existence entière ? C'est la question que posait Eternal sunshine of the spotless mind il y a bientôt dix ans. Une interrogation à laquelle le long-métrage répondait par une seule chose : le mouvement. Vers le passé, vers l'avenir, peu importe. Il fallait à tout prix maintenir éveillées quelques bribes d'un passé que l'on a pourtant choisi d'effacer. A ce postulat, Gondry superposait une forme dynamique, alerte, comme si l'oeil d'un documentariste s'était perdu dans un songe de Terry Gilliam.
Complément bienvenu à ce chef-d'oeuvre low tech, Real offre une nouvelle variation sur le même thème en suivant les pas d'un jeune homme parti rejoindre sa fiancée prisonnière d'un état comateux afin de la ramener...au réel. Celui du titre ? Oui et non, et c'est là que la patte de Kurosawa porte ses fruits. Ce qui l'intéresse, c'est l'entre-deux, l'indéfini. Ni déluge onirique à la Paprika ni réalité morose façon Avalon pour lui. Si la scène d'ouverture, bref dialogue entre les deux amants, sert en effet à donner le la au récit, il ne l'enferme pas dans une logique de fuite en avant.
Fidèle aux longs silences qui ont façonné sa carrière, Kiyoshi Kurosawa y trouve ici un bel écrin. Film introspectif, Real s'attache moins à un souvenir qu'à la perception de celui-ci. Du coup, les cadres statiques qui cimentent le long-métrage laissent planer un esprit de sérieux qui se voit contredit pas des éléments très discrets, mais néanmoins puissants : voir ces êtres sans visage, baptisés "zombies philosophiques", qui peuplent l'esprit de la jeune-fille, ou encore ce personnage secondaire inattendu vers lequel se tournent les enjeux du dernier acte.
Exploration mentale de fêlures bien concrètes, Real compte aussi parmi les films les plus ludiques et accessibles de son auteur.