Le constat est sensiblement le même à chaque nouvelle oeuvre de Quentin Dupieux : une exploration de l’Absurdie par le truchement d’une mise en scène épurée pour un bouleversement total des codes du cinéma traditionnel. De film en film, l’auteur aura apposé sa griffe et composé son univers, sera passé maître dans l’art du décalage, tout en égratignant certaines conventions. Il aurait pu se trouver lui-même face à Bob Marshall, ce producteur extravagant incarné par Jonathan Lambert, pour lui présenter ses projets fous, celui d’une bande de liftés (Steak), d’un pneu tueur (Rubber), d’un maître cherchant son chien dans les affres de sa conscience (Wrong) ou d’une bande de flicaillons représentant une certain désordre (Wrong Cops). Mais il laisse le soin à Jason Tantra (Alain Chabat, un amoureux de la déconstruction du genre comme l’illustrait La Cité de la Peur), caméraman sans consistance pour une obscure émission culinaire, de soumettre son idée révolutionnaire. Celle d’un film de science-fiction intitulé Waves dans lequel les postes de télévision émettent des ondes létales éliminant la totalité de la population mondiale. "Aucun espoir, j’aime ça" claironne le producteur.
Même principe pour le cinéma de Dupieux : ses atmosphères lourdes et statiques déclenchent le rire autant qu’elles enferrent les personnages dans un univers déprimant, désenchanté presque, où ils s’obstinent à reproduire incessamment les mêmes gestes pour servir une raison absurde. Tantra obnubilé par son projet cinématographique s’entête à trouver le gémissement ultime capable de recevoir un Oscar, Henri (Eric Wareheim, vu dans Wrong Cops) ne peut se libérer de sa jeep militaire et de ses frusques de bonne femme bourgeoise, Zog est prisonnier de son obsession de réalisme. Ce sacro-saint réalisme, divinité vénérée par nombre d’auteurs toujours en quête de l’imitation du réel que Dupieux considère plutôt comme une limitation artistique. L’imitation est limitation, comme l’illustre le personnage de Tantra qui se retrouve nez-à-nez avec le film qu’il n’a pas encore réalisé. Ou ne serait-il finalement que l’une des poupées de l’oeuvre de Zog, cet autre réalisateur sorti du caniveau ?
Réalité laisse une part importante à l’interprétation et multiplie les mises en abyme pour concevoir un dédale où les intrigues se mêlent, les personnages se croisent, les repères se voient anéantis, les perceptions se bousculent au profit d’un chaos scénaristique dont Dupieux est coutumier. Hélas, ces réflexions déjà mises en avant par l’auteur dans d’autres créations se montrent ici moins incisives, moins pertinentes et noyées dans de trop nombreuses strates. Dupieux serait-il également esclave de la réalité ?
Cette critique est parue sur le site Cinemafantastique