Fall talk
La polysémie du titre du premier long métrage de Tina Satter est fertile : Reality est le prénom de sa protagoniste, Reality Winner, une personne réelle ayant vécu l’histoire qui va nous être...
le 17 août 2023
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Tina Satter ne pouvait sûrement pas rêver mieux comme patronyme pour l'héroïne de ce film, sur la crête permanente entre les genres, entre la réalité, le mensonge et la dissimulation.
En mettant en image quasiment à la seconde près les retransciptions des enregistrements audio de la perquisition, l'interrogatoire puis l'arrestation de Reality Winner, Tina Satter, qui réalise l'adaptation de sa propre pièce, délivre une experience cinématographique audacieuse et en tension constante, qui tour à tour et déconcerte et inquiète par son aspect documentaire. C'est dans la zone grise de l'image manquante de cette source audio que la réalisatrice met en scène la réalité, dans une subtile et ludique expérience de cinéma. Toute la force fictionnelle trouve alors son plein potentiel dans cet espace circonscrit par une unité resserrée de temps et de lieu.
Très vite le film se dévoile alors en un anxiogène huis clos qui, s'il est évidemment un objet politique, se présente par moments au spectateur sous d'originales allures horrifiques. En imaginant le comportement, les mimiques, les corps des agents qui ont procédé à l'arrestation, Tina Satter trouve le juste angle pour distiller un décalage et une excentricité inquiétantes et surréelles qui saisissent, bien aidée par la géniale bande originale de Nathan Micay, très proche d'un Oneohtrix Point Never.
Même, et c'est remarquable, par la manière dont elle croque les personnages des agents, leurs regards, leurs corps (muscles, ventres, fesses sont très moulés), leurs postures et mouvements qui réduisent parfois la distance entre eux et Reality, et par la façon dont elle les fait pénétrer dans le cadre qu'on voudrait protecteur, la réalisatrice convoque tout un arsenal pictural féministe et déploie un female gaze insolent et réjouissant. La fragile et en apparence innocente Reality devient, outre une lanceuse d'alerte et un symbole martyr de la lutte contre l'administration Trump, une figure de femme puissante, dressée contre un président hostile aux femmes et, plus largement, une démocratie rouillée qui condamne ceux qui, en en combattant certains travers, la serve mieux que beaucoup.
Dans sa toute fin, le film penche un peu trop en la faveur de son personnage, s'éloignant un peu de l'habile flou qui flottait autour d'elle. En balançant entre le désir de vérité d'agents fédéraux aux aux techniques verbales manipulatrices, qu'elle expose et décortique de manière passionnante, et l'allure faussement naïve et donc troublante de Reality, la réalisatrice touchait au plus juste.
Si certains effets de style sont parfois en trop, la bizarrerie du film vient avant tout de son esthétique glacée et de son minimalisme, autant résultat de son économie de moyen que volonté d'épure esthétique.
En tout cela, au-delà même de son propos politique fort (d'autant plus en France où rares sont ceux qui étaient au courant de cette affaire encore chaude), Reality, pour son originalité formelle et son troublant jeu de cinéma, est une œuvre à part, et une expérience plus que recommandée.
De l'art de faire du grand avec trois fois rien.
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Créée
le 4 déc. 2023
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