Reality
6.5
Reality

Film de Tina Satter (2022)

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Reality part d'un postulat plutôt original et qui paraît assez osé : à savoir retranscrire à la lettre une véritable intervention enregistrée du FBI à l'encontre d'une jeune femme de 25 ans, Reality Winner, soupçonnée d'un crime d'état. Le choix de ce cinéma vérité va prendre plusieurs formes au cours du film ce qui le rend très intéressant visuellement, malgré une fin qui se laisse un peu emporter par son message dénonciateur.


Les 30 premières minutes du film donnent le ton : comme on assiste à une véritable intervention, difficile de la jouer comme dans les fictions classiques : pas de perquisition en deux minutes, ni de violence, mais une rencontre avec la suspecte qui va durer très longuement, sans qu'il ne se passe grand chose. Là-dessus, le film est assez brillant car en omettant les éléments manquants pour comprendre ce qu'il se passe, le spectateur se trouve dans la même situation que Reality, à savoir que dans les digressions débiles, les conversations un peu nulles le temps d'appréhender les lieux, il se passe quelque chose de louche, mais on ne sait pas quoi. On ne sait pas pendant longtemps. Pourquoi le FBI est-il ici, est-il en train de faire une grosse erreur ? Qui est cette jeune femme somme toute relativement banale ? Et surtout, ce qui est intéressant, c'est qu'elle ne semble pas se poser ce genre de questions : malgré l'intrusion du FBI chez elle, et le comportement louche des deux interrogateurs, Reality les écoute aveuglément, pensant qu'ils font sûrement ça pour une bonne raison. J'ai pas mal pensé au personnage de Richard Jewell à ce niveau là, dans le film de Clint Eastwood : dans cette naïveté aveugle envers les institutions américaines, persuadée qu'elles sont là pour le bien des gens, ce qui justifie le fait de faire exactement ce qu'ils demandent. Ces échanges un peu anodins apportent aussi une ambiance très oppressante, sur les questions qu'ils posent concernant ses animaux, son portable. On a l'impression qu'ils en font trop, qu'ils font les durs, face à une femme pour impressionner un peu. Et les plans sont souvent serrés, avec très peu de profondeur de champ, ce qui isole vraiment les personnages de l'extérieur.


Mais l'ambiance va changer pendant l'interrogatoire. Les rôles vont s'inverser petit à petit et on finit par comprendre que le FBI n'est pas là par hasard, que Reality cache quelque chose maladroitement. De la même manière qu'au début du film, la mise en scène ne va pas oublier de jouer sur l'authenticité de l'échange en affichant de temps en temps le verbatim écrit pour appuyer sur la tension. Et les passages cachés par la version officielle vient perturber aussi le récit fictionnel, comme si une faille, un bug, venait tâcher le réel. C'est une idée plutôt intéressante bien que trop utilisée dans le long métrage. Mais cela permet au spectateur de se sentir encore moins à l'aise et surtout beaucoup moins, du moins pendant un temps, du coté de Reality. Et c'est là où l'ambiguïté du film est intéressante car dans l'aspect poussif du FBI et de leurs questions, on se met à penser qu'elle a commis l'irréparable, qu'elle était sur le point peut-être de commettre un attentat, ou que sais-je encore. Mais finalement, son crime n'est qu'une erreur maladroite, geste amorcé d'un ras-le-bol temporaire sur ce qu'il se passe aux Etats-Unis, et les scandales cachés. Mais cette erreur finalement assez anodine est traitée comme un crime d'état par l'institution américaine, ce qui donne une certaine idée de l'autorité dictatoriale du pays, et c'est ce que va avant tout dénoncer le film.


Dans le simplicité et la naïveté de cette américaine un peu pro armes, et surtout à priori dévouée pour son pays (elle cherchait à se faire réhabiliter après être passée à l'armée de l'air), Reality démontre la froideur et la paranoïa constante de l'Etat américain, ainsi que sa volonté crue de vouloir tout cacher à son peuple. Le message est fort, et il est précédé d'un jeu de mise en scène intéressant, jouant avec le réel et la fiction pour donner des ambiances toujours très différentes, alternant entre l'absurdité des digressions, et la dramaturgie de l'interrogatoire. Sa fin laisse néanmoins plus place à l'iconisation du personnage de Reality pour symboliser l'héroïsme de la jeune femme, mais je pense que ce n'était pas obligatoire. Cette femme n'est pas une héroïne, elle a cru bien faire mais s'est faite trahir par son propre pays. Ainsi, musique à fond et ralentis démesurés, la fin prend le contrepied du reste pour donner le message le plus poussivement possible, ce que je trouve dommage car très loin du reste de ce que proposait le long métrage.


Reality reste un film intéressant, qui traite son message avec une ambiguïté formelle qui laisse place à beaucoup de moments étranges. Et le jeu de Sydney Sweeney vient rajouter davantage de mystères dans cette ambiguïté, en interprétant cette femme maladroite avec une grande justesse.

Guimzee
7
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le 16 août 2023

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