Adapté d’un roman de Daphne du Maurier, « Rebecca » est un film d’Alfred Hitchcock réalisé en 1940 et produit par David O. Selznick, qui met en scène Laurence Olivier et Joan Fontaine dans les deux rôles principaux.
Sur la côte d’Azur, à Monaco, la jeune dame de compagnie de l’horripilante mégère Mrs Van Hopper rencontre le beau Maxim de Winters, un britannique de très haut parage. Sombre, depressif, l’homme semble sur le point de se jeter du haut d’une falaise lorsque la jeune fille l’arrête d’un cri. S’il est un peu surpris par l’interruption, de Winters passe ensuite les jours suivants avec l’inconnue. Elle tombe rapidement sous son charme, et lui, un veuf qui se remet difficilement de la disparition brutale de son épouse, en vient à apprécier sa compagnie. Ils ne tardent pas à convoler, et après une lune de miel heureuse, rejoignent la demeure familial des de Winters : Manderley.
Manderley, un immense manoir au luxe outrancier, possède un parc gigantesque, un accès à la mer et toute une batterie de servantes, de majordomes et autres jardiniers pour entretenir le tout. Toute cette clique est dirigée par la gouvernante, Mrs Danvers, une femme pincée et glaciale, qui ne semble s’animer que lorsqu’elle parle de Rebecca, feu l’épouse de Mr de Winters. La nouvelle Mrs de Winters se rend vite compte qu’elle n’est pas la bienvenue à Manderley…
Le film adopte une construction autour d’un personnage qui n’est jamais montré, ici, la fameuse Rebecca, qui donne même son nom au film, mais dont l’ombre est omniprésente. Rebecca est au centre de toutes les conversations, ses initiales sont apposées partout dans le château et, même d’outre-tombe, continue à régir la vie de tous les personnages principaux, qui sont prisonniers de son héritage. Ce procédé est repris dans d’autres films, notamment chez Mankiewicz, dans « A Letter to Three Wives » où la fameuse ‘Addie Ross’, bien que n’apparaissant jamais à l’écran, est au cœur de toutes les préoccupations.
Cela confère à Rebecca une espèce de pouvoir, de puissance surnaturelle. Décrite comme suprêmement belle, brillante et bien née ("beauty", "brains", "breed"), la comparaison est d’autant plus injuste pour la nouvelle Mrs de Winters qu’elle n’a pas loisir de rencontrer son illustre prédécesseur. Difficile de lutter contre la femme parfaite, surtout si sa mort en a fait une sorte de figure quasi-mystique surréaliste.
Après un début un peu poussif, qui permet à Hitchcock d’introduire ses différents personnages et de présenter le cadre de son récit, l’intrigue prend une toute autre ampleur à partir de la découverte de l’aile ouest de Manderley par Mrs de Winters. Les choses s’enchaînent alors, des renversements de situation s’opèrent, et tout ce que l’on prenait pour acquis est définitivement chamboulé par le réalisateur qui nous donne à voir des personnages infiniment plus tortueux qu’ils ne le laissaient penser.
Outre ce suspense qui en découle, et la cassure nette de l’histoire banale qui survient, le succès du film réside un peu dans son atmosphère, mais surtout dans ses personnages. L’immensité froide et hostile de Manderley – qui constitue presque un personnage à part entière – fait écho à la diabolique Mrs Danvers qui en constitue à la fois la gardienne, et, dans un sens, l’âme. Elle en hante les lieux, apparaît de nulle part et sans être annoncée. Glaçante, morbide, elle est interprétée par Judith Anderson livre une très belle prestation.
Les deux rôles principaux, Laurence Olivier et Joan Fontaine, sont parfaits. Fontaine fut nominée à l’Oscar (elle le remportera l’année d’après pour « Suspicion », coiffant sa sœur au poteau), et livre ici l’une de ses interprétations les plus abouties. L’histoire dit qu’Olivier, qui voulait voir sa compagne Vivien Leigh jouer le rôle de Mrs de Winters, était odieux avec Fontaine. Hitchcock, y voyant une aubaine de mettre la jeune actrice en condition pour le rôle, lui a alors décrété que cette animosité à son égard s’étendait à l’ensemble de l’équipe du tournage… Le résultat est une vraie réussite, la timidité et le malaise de Mrs de Winters est parfaitement rendu par (la très jolie) Joan. Dans les seconds rôles, on retrouve George Sanders, qui a un chouette rôle, même s’il est restreint.
Avec ce film, Hitchcock signe sa première réalisation Hollywoodienne, et remporte son seul Oscar du meilleur film. Il eut quelques problèmes à s’entendre avec le producteur, Selznick, et recourut alors à des méthodes de montage lui permettant d’empêcher l’interférence de l’homme d’affaire. Joan Fontaine fut battue par Ginger Rogers par l’Oscar, ce qui lui permit de l’empocher l’année d’après (souvent considéré comme un Oscar de ‘consolation’, un peu comme James Stewart qui fut récompensé en 1940 pour son rôle pourtant moins majeur dans « The Philadelphia Story » après l’avoir perdu pour « Mr Smith Goes to Washington »), et de nourrir la rivalité durable qu’allaient entretenir deux des sœurs les plus célèbres de l’histoire du cinéma…