Après deux films plutôt remarqués par la critique et sortis en salles de manière assez confidentielle et sans grand succès, les prometteurs mais pourtant pas si transcendants « Blue Ruin » et « Green Room », le cinéaste Jeremy Saulnier s’est retrouvé sur Netflix avec son film suivant, le malaimé et clivant mais pourtant fascinant et magistral « Aucun homme ni Dieu ». Dans tous les cas, on a découvert un cinéaste passionnant, peu commun et très à l’aise avec sa caméra. Une grosse pause s’en est suivi – près de six ans – avant qu’il ne nous livre son nouveau film. Et l’attente en valait clairement la peine car ce « Rebel Ridge » est une nouvelle réussite. Toujours dans une veine de film noir aux contours sombres mais cette fois coulé dans le genre du polar, le film nous prend aux tripes, nous tiens en haleine et nous surprend durant plus de deux heures sans discontinuer. Si son premier film reprenait quelques codes du film de vengeance sauvage, tandis que le second flirtait avec le carnage horrifique et le troisième avec le fantastique et l’occulte, ici on suit une histoire très réaliste à base de corruption. Un emballage peut-être plus classique mais une intrigue retorse à souhait.
Le génie du script est de révéler au fur et à mesure des multiples couches, comme si on épluchait un oignon. Commençant comme un banal film de vengeance suite à un contrôle routier injuste, « Rebel Ridge » va se densifier à chaque séquence, avec chaque action, à l’arrivée de chaque personnage secondaire et par le biais de chaque information nous parvenant pour rendre l’intrigue bien plus touffue (et prenante) que ce à quoi on s’attendait. Le long-métrage de Saulnier passant alors de simple polar nerveux à une analyse de la corruption ordinaire et d’une critique larvée de tout un système, proche de ce qu’on pouvait constater avec la seconde saison de « True Detective » (Saulnier a d’ailleurs réalisé quelques épisodes de la troisième, cela ne s’invente pas). Cependant, son film partage son principal défaut avec ladite saison de cette série : c’est parfois un peu trop complexe et tentaculaire et si l’on veut tenter de tout comprendre dans les moindres détails ce n’est pas gagné à la première vision. Mais il est probable qu’on apprécie mieux le film si on s’en tient aux grandes lignes et à la maestria de la mise en scène.
En effet, « Rebel Ridge » est réalisé avec simplicité mais surtout une grande efficacité. Que ce soit le montage intelligent qui fait progressivement monter une inquiétude sourde (on sent venir une explosion de fureur qui finit par arriver dans un final sec et spectaculaire), la chorégraphie implacable de quelques séquences d’action jamais gratuites mais nécessaires et très crédibles ou encore la tension incroyable de certaines séquences magistralement exécutées (les deux contrôles routiers ou les deux scènes au sein du commissariat sont des modèles du genre), c’est parfaitement maîtrisé. En outre, cette plongée dans un coin reculé de l’Amérique sonne un peu comme le chant du cygne d’un pays à bout de souffle et d’un système gangréné de partout où la justice n’est plus qu’une illusion. Et pour peaufiner cet excellent suspense fait film qui sort des sentiers battus et nous surprend à chaque détour, quoi de mieux que de définitivement révéler un jeune acteur méconnu : Aaron Pierre, qui bouffe littéralement l’écran. Peut-être pas aussi original et inattendu que « Aucun homme ni Dieu » mais certainement plus accessible et tout aussi probant.
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