Récit d'un propriétaire par Jean Dorel
En 1947, quand il entreprend Récit d'un propriétaire, Ozu n'avait pas tourné depuis cinq ans de long-métrage. Il était un père, qu'on a pu découvrir l'été 2005 en France, souffrait d'un didactisme édifiant dû à une commande gouvernementale en pleine deuxième guerre mondiale. La guerre est passée, Ozu revient au cinéma et travaille avec son scénariste Tadao Ikeda à nouveau sur l'enfance, son thème de prédilection.
Quand Récit d'un propriétaire sort au Japon, en mai 1947, le pays subit encore les contrecoups de la guerre. Le paysage est en ruine, les familles sont brisées, l'argent manque, la nourriture n'est pas bonne et les enfants sont abandonnés. Là, arrive un gamin. C'est un des locataires qui le ramène dans l'ensemble d'appartement où les voisins vivent pratiquement les uns sur les autres. Le gamin, qui sauf erreur, jamais n'aura de prénom, a une mine renfrognée, les mains constamment dans les poches et un calot sur sa tête baissée. Il ne dit presque aucun mot de tout le film.
Personne ne veut du gamin. Ni le propriétaire des appartements, ni aucun des locataires. C'est la veuve Kayan Otoné qui est forcée de récupérer le petit et ça ne la réjouit pas vraiment. Elle fronce les sourcils devant le gamin terrorisé qui détourne les yeux. Le gamin pisse au lit, le matelas est tout taché : elle fronce les yeux et le menace d'être chassé de chez elle. Des kakis ont disparu, elle fronce les yeux en accusant le gamin. Mais, ça n'était pas lui. Enfin, le petit s'exprime : il pleure tout son sou. Un matin, il a encore pissé au lit. Il s'est enfui avant que la marâtre ne l'expulse. Elle le cherchera partout, s'inquiètera pour lui, le retrouvera. Finalement elle l'aime bien ce môme, elle va l'adopter.
Mais le chemin qui a mené vers cette affection réciproque a été semé d'embûches. Ozu dans Récit d'un propriétaire manie la cruauté avec un sens du sadisme assez puissant. Quand le gamin arrive, les adultes ne se gênent pour parler, en mal, de lui devant lui. " Si vous n'en voulez pas, abandonnez le " ou " Je déteste les enfants " entend-on. Un matin, Kayan l'emmène pour tenter de retrouver son père. En vain. Après une pause au bord de la mer, elle essaie de le semer. En vain. Ozu les filme dans la longueur du cadre, dans un jeu de piste. Le gamin la suit comme un chien, elle le chasse. Il sort du cadre puis, le plan suivant, il est à nouveau là.
Encore une fois, Récit d'un propriétaire est un portrait du Japon post deuxième guerre mondiale. En contre courant total du néo-réalisme italien Ozu filme joyeusement le désespoir. On en est abasourdi. Quelques séquences bouleversent et touchent directement au cœur. D'autres font tendrement sourire, comme celle où tous les locataires accompagnent une chanson d'amour avec leurs baguettes. La fin de Récit d'un propriétaire est particulièrement poignante. En 71 minutes, Ozu, qui a adopté la solution des plans fixes, devient à la fois conteur, moraliste et historien.