Il y avait quelque chose dans la bande annonce qui me donnait envie de m'intéresser au film, sans que j'arrive à mettre le doigt dessus. Elle présentait un film d'espionnage qui promettait un jeu de manipulation principalement à base de dénuement de Jennifer Lawrence dans le rôle principal (mouarf, paie ton implacabilité psychologique), avec un montage dynamique et plutôt bruyant de blockbuster moderne. On avait quelques images indiquant qu'il y aurait des morts et une forme d'action et tout prenait des allures de thriller pour se divertir. Il y avait toutefois un certain soin dans les cadrages, on voyait une envie de faire du beau. Rien a priori qui aurait dû particulièrement retenir mon attention. C'est en y réfléchissant plus tard que j'ai compris ce qui m'avait intrigué : le film paraissait se prendre au sérieux (pas de punchline, pas de dédramatisation, pas de musique pop) et on n'y voyait aucune scène d'action. Plein d'éléments laissaient suggérer quelque chose d'un tant soit peu mouvementé, mais il n'y avait pas de bagarre ni de séquence spectaculaire. Il n'y avait même pas de séquence vraiment thriller dans cette BA. Juste une promesse d'espionnage, sans l'argument de séquences choc pour se vendre plus facilement mais avec malgré tout un fric apparent dépensé pour un rendu visuel élégant. Toutes les autres BA de blockbusters que j'apercevais jouaient la carte de la coolitude, des séquences énaurmes, voire d'un second degré utilisé comme excuse pour justifier un manque de sérieux dans la confection du film. Là c'est comme si on tentait d'attirer le même public en sortant les atouts du blockbuster (actrice populaire, beaux décors, genre de l'espionnage attirant) sans lui donner tout ce qu'il est habitué à se voir offrir (il est où le boum boum ?). Mine de rien ça se rapproche étrangement du comportement de l'héroïne.


C'est ce qui m'a incité à donner sa chance à Red Sparrow malgré des critiques tièdes et le film a confirmé certaines de mes impressions, sauf pour la noirceur à laquelle je ne m'attendais pas. Déjà c'est un film interdit aux moins de 12 ans chez nous et ce n'est pas volé, le film est violent. Pas violent comme un Tarantino qui ferait de la violence fun ou cathartique, ni violent pour servir de feedback qui traduirait la puissance d'un combattant. C'est de la violence sèche et sale, celle qui n'a rien de sexy ou d'amusant et qu'Hollywood cherche généralement à éviter. Il y a eu des réactions de dégoût dans la salle, il en est de même pour le contenu sexuel bien moins confortable que ce que laissait suggérer la bande annonce.


Le film parle de Dominika, une ex-ballerine russe qui a été recrutée de force dans les services d'espionnage de son pays, un service qui base toute son instruction sur la séduction. Il y avait un boulevard énorme pour un catalogue sexy de femmes fatales à engager dans les James Bond pour le plaisir des yeux, et de fait on verra souvent Jennifer Lawrence nue et sexualisée puisque son enrôlement se base sur son physique. Mais le film rend toutes ces séquences dérangeantes, on voit que Dominika ne veut vraiment pas faire ça. Le film évite le piège de rendre ces séquences glamour et nous montre bien toute l'exploitation sexuelle que font ces services secrets, toute l'ignominie d'un système qui avilit ses pions en les forçant à abandonner leur amour-propre. Même quand la séquence sexuelle paraît s'accorder aux canons du film érotique il y a toujours un élément malsain ou un doute qui rend la scène inconfortable, voire pire. En plus d'esquiver le piège de l'objectification cela offre un enjeu intéressant au personnage de Jennifer Lawrence qui cherche des moyens pour ne pas outrepasser les limites qu'elle s'est fixées sur l'usage de son corps malgré toute la pression qu'elle subit, détournant les attentes par des pirouettes.


Le film garde tout de même une histoire d'espionnage avec une taupe à démasquer en faisant parler un agent américain. Finalement on se désintéresse vite de l'identité de cette taupe pour plutôt observer la manière dont Dominika évolue dans ce monde. On ne peut pas dire que les retournements de situations soient dépaysants, entre les trahisons et les imprévus ça ne va clairement pas vous retourner la tête. Si vous espérez une énigme labyrinthique ou un complot tentaculaire et paranoïaque vous serez déçu. Si vous êtes venu pour avoir de quoi sortir le popcorn vous allez rester sur votre faim, il n'y a presque pas de scène d'action. Dominika n'est pas Black Widow, elle n'a pas été entraînée pour tuer. Tout se joue surtout sur la progression de l'héroïne, sur la manière dont elle doit se dépêtrer pour obéir à des ordres qui lui déplaisent, mais aussi sur son ambiguïté. C'est finalement cela qui m'a le plus plu, la voir sur la corde raide alors que le spectateur n'est même pas sûr de ce qu'elle cherche à faire. Il ne faut pas trop regarder Red Sparrow avec des exigences de film d'espionnage, que ce soit la version bureaucratique rigoureuse ou la version explosive, d'ailleurs l'agent américain passablement ridiculisé ressemble à une parodie de James Bond. Le film lorgne beaucoup plus du côté du Millenium de David Fincher, sans en avoir la même force mais de manière tout à fait honorable. Le scénario contient toutefois des points qui sont trop gros, comme le coup des disquettes archaïques alors qu'on pouvait facilement remplacer ça par des CD dans des boîtiers ("Je vais vérifier que ce sont les bonnes données" : mais y a pas de lecteur de disquette sur ton ordi portable !). Il y a aussi l'entraînement des espions à coup de vidéo porno qui m'a donné envie de rire.


Il est très plaisant de voir à nouveau un film se prendre au sérieux au point de se séparer aussi franchement d'une large portion de son public potentiel. Il s'en sépare à cause de son programme qui s'éloigne du divertissement agréable que recherche habituellement l'amateur de blockbuster, ainsi que par sa classification R, déjà plutôt restrictive en temps normal pour un film d'action et encore plus pour un film de manipulation. Tout ça était nécessaire pour retranscrire correctement les thèmes du film sans une édulcoration qui aurait détruit le propos, mais sans non plus virer au film gore. Francis Lawrence est loin d'être un réalisateur attendu mais on sent qu'il a cru à son projet au point de ne pas faire de compromis. Sa mise en scène n'est pas spécialement remarquable mais elle reste tout à fait fonctionnelle, jamais pompeuse, exempte de tic de réalisation pénible, et ses plans sont soignés malgré une photographie souvent quelconque. Quelques passages font mouche avec une mise en scène glacée, comme une séquence de torture qui met juste ce qu'il faut de violence et de lenteur en se servant du psychologique pour faire mal en avance. Les acteurs font le job, notamment Jennifer Lawrence qui a pris un risque avec une implication physique loin d'être négligeable. C'est le genre de rôle qui ne rend pas son image plus vendeuse auprès du grand public, après Mother ! on ne peut que constater que c'est une actrice qui ne choisit pas la facilité. C'est amusant de la voir revenir devant la caméra du réalisateur des 3 derniers Hunger Games pour un film qui comporte des séquences faisant penser à une dystopie fasciste, mais avec cette fois un traitement qui ne s'adresse pas spécialement aux adolescents. C'est intéressant aussi de la voir démarrer ses apparitions nues au cinéma dans un rôle qui ressemble à celui d'une actrice qui chercherait à percer sans devoir se livrer au producteur, du moins sans lui donner ce qu'il souhaite.


Red Sparrow ne s'adresse pas à tout le monde et ne va pas non plus vous illuminer. Son fil rouge n'est pas des plus passionnant et même assez transparent, les ressorts du film d'espionnage ne sont pas renouvelés et le film manque de scènes vraiment mémorables malgré quelques éclats. Malgré tout le visionnage demeure intéressant, il témoigne d'une envie de bien faire qui fait plaisir et va dans une direction dans laquelle Hollywood est généralement frileuse.

thetchaff
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le 10 avr. 2018

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