J'aurais pu voir ce film à Cannes.
Evidemment à l'entrée de la salle, ils se préoccupaient plus de contrôler si vous aviez un badge d'acheteur, plutôt que du nombre de fois que vous aviez vu Clerks.
Certes en arrivant au festival, je n'avais aucune idée que le dernier film de mon réalisateur fétiche y serait projeté, et pourtant j'avais dans ma valise son livre "My boring-ass life" (merci Kevin), et je pense que c'est assez significatif.
J'étais allé à Cannes sans trop me soucier de la programmation, je ne savais même pas si je pourrais aller au Marché du film, et avec le nombre de projections supplémentaires que cela comprend, je n'aurais de toute façon pas pu tout vérifier. J'y étais allé en me disant que je déciderai sur place quels films j'irai voir. Mais le premier jour, en patientant dans la file d'attente pour Porfirio, quand pour passer le temps j'ai lu le programme du Marché du film et y ai vu qu'il y avait Red state, c'est devenu LE film à voir.
Heureusement, m'étais-je dit plus tard, qu'à ce moment là je n'avais rien eu d'autre à faire que de consulter ce programme. Et heureusement que, le lendemain, j'ai pu constater qu'il fallait des invitations pour se rendre à une séance du Marché.
J'avais donc essayé d'en obtenir une pour Red state le matin de la projection, seulement bizarrement on en obtenait moins facilement que pour Yakuza weapon ou Birthday (ne cherchez pas ce dernier sur google, on n'en trouve aucune image, et ça me surprendrait si un jour un éditeur ose sortir ce truc en DVD).
Je n'ai plus eu qu'à souhaiter que je puisse accéder à la salle une fois en face, peu avant la séance. Pour ne pas m'ennuyer en attendant, j'étais allé voir Birthday. Ce que je n'avais pas prévu, c'est qu'à mon retour il y avait plus de gens qui voulaient entrer que la petite salle d'une quarantaine de places passant Red state ne pouvait en contenir, sachant en plus que des acheteurs étaient déjà entrés.
Et il fallait ce fichu badge bleu pour accéder à la projection. Même la presse n'avait pas la priorité pour rentrer.
J'ai patienté, mais bien sûr, contrairement à l'abominable Birthday, qui n'avait pas non plus attiré une telle foule, personne n'est sorti au bout de cinq minutes. J'ai eu beau attendre 30mn après que la projection ait commencé, même là, alors qu'il ne restait plus que moi et un homme qui avait demandé en blaguant lorsqu'il était arrivé « donc si les 5 personnes devant moi meurent, je peux entrer ? », et que deux personnes dans la salle sont sorties, je n'ai pu voir les deux tiers restants de Red state car c'est à ce moment là que l'ouvreuse m'apprit que, même là, il me fallait un badge ou une invitation. Et la femme représentant la société qui organisait la projection du film, et que j'avais vue tenir des invitations lorsqu'elle était encore là, était désormais partie.
Donc deux acheteurs sont passés devant moi et sont entrés à ma place.
J'étais bien entendu dégoûté, mais finalement pas tant à cause du film lui-même, mais parce que je m'étais fait avoir ainsi.
Je voulais vraiment voir Red state, mais surtout parce qu'il s'agit d'une œuvre de Kevin Smith, car le film en lui-même ne se présentait pas si bien. Le réalisateur du mythique Clerks a pas mal déconné ces temps-ci, il a cassé du sucre sur le dos de Bruce Willis qu'il avait fait jouer dans Cop out, et s'était mis en tête que si ce dernier film avait été autant démoli par la presse, c'était parce que les critiques peuvent assister à des projections sans avoir à payer et, ainsi, n'ont aucune considération pour ce qu'ils vont voir. Il n'est pas venu à l'esprit de Smith, un peu comme Eli Roth avec son Hostel, que son film était simplement mauvais, et même au point qu'il s'agisse du seul qui fasse une grosse tache bien sale sur sa filmographie.
Donc Smith a annoncé qu'il arrêtait sa carrière de réalisateur, mais qu'avant il allait distribuer Red state lui-même, ce qui explique que le film n'ait été présenté que de façon éparse à travers les Etats-Unis, lors de projections spéciales ou dans des festivals.
Il a donc fallu que j'attende qu'il soit disponible en vidéo à la demande pour voir ce film dont les avis qui ont suivi les premières projections m'ont encore plus inquiété, déjà que l'idée que Kevin Smith se mette au film d'horreur me semblait une mauvaise chose.
La nouvelle affiche précise "An unlikely film from that Kevin Smith", comme pour nous dire que, non, on ne s'est pas trompé, c'est bien du même Kevin Smith qu'on parle.
C'est sûr que ça change de ce qu'il fait d'habitude, c'est recherché, on voit que Kevin Smith a voulu se détacher autant que possible de ce qui peut être mis en lien avec sa notoriété. Il donne l'impression de vouloir repartir de zéro, et faire comme s'il était un amateur.
On retrouve pourtant de nombreuses têtes connues, même si ce n'est pas dans les rôles principaux dans tous les cas : Michael Parks (le sheriff McGraw des films de Tarantino et Rodriguez et qui, ironiquement, a joué Adam dans "La Bible" de John Huston), Stephen Root (Milton dans Office space, film culte aux USA), Patrick Fischler (Mulholland drive), Damian Young (Californication), Kyle Gallner (remake de Les griffes de la nuit), et pour les habitués de Smith, Betty Aberlin (une nonne dans Dogma, déjà), et Jennifer Schwalbach Smith, même si le réalisateur s'est détaché de ses acteurs habituels les plus connus. Pas de Jay & Silent Bob, bien entendu.
L'intention de Kevin Smith n'en est pas moins claire, dès les titres du début qui auraient pu être faits sur Windows movie maker, ensuite dans le film la caméra tremble, l'image est grisâtre, tout fait amateur. Le chaos du montage qui rend certaines images difficiles à discerner, et la cohue des paroles qui s'accumulent trop vite participent aussi à donner un air de cinéma pris sur le vif comme le ferait quiconque avec une caméra DV à la main qui filmerait le réel.
C'est cette impression que cherche à donner Smith, même si on sait que c'est de la fiction, et on n'arrive pas non plus à nous donner l'illusion du contraire.
La scène de classe me fait penser à celle de Scream 2, dans le sens où j'ai ressenti exactement la même facticité. La prof se montre familière et se permet de blaguer plusieurs fois avec les élèves, ces derniers prennent des libertés durant le cours et leurs réflexions personnelles du genre "they're assholes" sont prononcées à haute voix de façon à devenir le sujet sur lequel l'enseignante dérive. On ressent trop fortement que tout est écrit, avec pour intention précise d'amener à un but unique : expliquer aux spectateurs qui est ce fameux "Abin Cooper".
Et il faut savoir que tout cela s'enchaîne très rapidement, en moins de deux minutes peut-être, ce qui rend encore moins crédible ce qu'on voit.
Evidemment, dans la scène d'après, quand les trois jeunes s'imaginent aller se taper un coup qui, comme par hasard, se trouve justement près du lieu où Abin Cooper habite, il n'y a aucune surprise.
Alors que jusque là, Kevin Smith avait toujours fait le plus simple possible dans sa mise en scène, dans Red state il y a des partis pris pour certains plans, ce qui est complètement inédit avec ce réalisateur. Il essaye de nouveaux trucs, des caméras fixées face à un comédien, des plans un peu plus construit, etc...
Mais à vouloir donner plus de style à sa réalisation, des fois il s'égare ; je prends pour exemple ce flashback inutile quand le sheriff parle de son accident, qui ne nous montre que les images qu'on a déjà vu juste quelques scènes auparavant. Ca fait croire que Kevin Smith est revenu en arrière non pas seulement en donnant l'air de faire un film un peu fauché, mais aussi par rapport à sa mise en scène, qui fait des erreurs qu'on ne trouverait pas dans une réalisation qui se trouverait dans la moyenne.
Enfin, ce flashback est inutile mais relève surtout du cliché, et il y a bien pire que cela, je pense à cet irrespect de la règle des 30° vers la fin du film, où l'on voit John Goodman en gros plan et soudain on a l'impression que l'image saute, et que le décor derrière lui n'est plus le même, alors que la caméra a juste légèrement changé de position. Kevin Smith n'ayant jamais vraiment suivi de formation pour être réalisateur, peut-être qu'une fois qu'il veut perfectionner son travail il en oublie des choses, comme de bouger suffisamment la caméra sur le tournage pour le bien du montage après. J'allais dire "La faute est peut-être aussi celle du monteur", mais c'est Kevin Smith aussi. Je me demande pourquoi il n'a pas inséré un contre-champ entre les deux plans, pour que le raccord passe.
Au moins, durant la séquence du monologue, Smith sait comment monter et varier les plans pour éviter la lassitude.
J'ai tendance à favoriser des œuvres dès qu'il y a un message fort, et subversif. Parfois il en suffit d'un seul suffisamment puissant pour me faire carrément adorer.
Dans Red state, ce message arrive avec le monologue de Michael Parks.
Seul Kevin Smith pouvait faire ça, à ma connaissance c'est le seul cinéaste qui croit en dieu, qui connaît bien la Bible, mais qui a un regard sérieusement critique envers la religion et qui ose placer ses reproches envers cette institution dans ses films.
Des gens ont manifesté pour cette comédie qu'est Dogma, et si Red state avait été diffusé de façon courante, je me demande à quel point certains en auraient été retournés.
Le personnage d'Abin Cooper est quelqu'un qui lui aussi connaît par cœur les textes saints, mais en a une vision pervertie. Et en même temps, même si ce qu'il prône va à l'encontre de ce qui est politiquement correct ou sain, il y a une logique dans la vision qu'il a de Dieu, il a les preuves pour soutenir ce qu'il pense, et il justifie ce qu'il fait par des passages qui sont tout simplement dans la Bible, ce qu'aucun chrétien ne peut contester.
Et évidemment ça requiert une bonne connaissance des textes religieux pour faire ça, donc heureusement que Kevin Smith est là.
Je m'étais dit que l'explication de Cooper sur son droit à tuer les homosexuels, s'appuyant sur le fait qu'il les voit comme des "insectes", était facile, mais finalement là aussi il s'appuie sur la Bible.
Sa justification pour le piège sur internet est plus faible, mais elle est soutenue par cette idée géniale : "sheeps among wolves".
On croit qu'il y a une faille dans leur système de pensée quand l'un des leurs meurt, mais là encore le culte a dans ce cas-là une justification. Elle fait d'ailleurs penser à celles que peut trouver un prêtre normal quand il doit expliquer pourquoi quelqu'un de bon a été emporté prématurément, et faire en sorte que ça n'entre pas en contradiction avec l'idée qu'un comportement en adéquation avec la religion protège de la colère de Dieu.
J'aime les films d'horreur. J'aime Kevin Smith. C'est pour ça que le mélange des deux m'effrayait.
Je m'inquiétais pour la partie "épouvante", Smith n'étant pas connu comme un amateur de ce genre. On connaît tous des gens qui y sont extérieurs et qui en ont une vision corrompue, croyant assister à quelque chose de fabuleux là où ça a en réalité été déjà fait des centaines de fois. Je craignais que Smith fasse pareil en réalisant son film. En fait pas du tout, il échappe à tout ça, à part peut-être quelques effets en CGI ; mais aussi après tout Red state est plus un thriller qu'un film d'horreur.
Et par la suite, le réalisateur de Clerks offre un spectacle intense et très pessimiste.
Face aux fanatiques religieux, il place des agents du gouvernement, qui eux sont également montrés sous un jour peu favorable.
Ils ne sont pas là pour incarner le bien face à des fous de Dieu qui tuent les pécheurs. Smith ne place dans son film aucun jugement qui soit supérieur aux deux groupes.
Vers la fin, quand on croit venir voir l'Apocalypse, j'aurais aimé voir Dieu sortir des cieux et foudroyer Cooper et sa famille, ça aurait été un WTF hilarant, mais on n'y a pas droit. Il n'y a aucune intervention divine ou venant tout simplement d'une force supérieure pour dire qui a raison et qui fait ce qu'il faut, si jamais c'est le cas d'un des deux groupes. En tant que personne "censée" du 21ème siècle, on se dit que Cooper et compagnie se trompent, mais par rapport à qui et à quoi ? Par rapport à la Bible par exemple, ils ne sont pas tant dans l'erreur.
Je pense que la confrontation entre les fanatiques et les représentants du gouvernement cherche simplement à ne donner raison à personne, ce qui ne veut pas dire non plus que la raison ne se trouve nulle part ; et c'est bien plus fort que si Kevin Smith avait pris position de façon manichéenne.
Red state n'est pas exempt de défauts, mais je l'ai trouvé puissant.