Le monde de l’entreprise va s’ouvrir à toi : stagiaire permanent ou précaire durable ?
Curieux titre de film au lapsus involontaire : "Reprise en main" alors qu'un des ouvriers de cette PME, thème du récit, perd la sienne ( ! ) dans une usine de décolletage, fabriquant des pièces de haute technicité pour automobiles dans la vallée de l'Arve. Qui comme tout le monde ne le sait pas, se trouve en Maurienne dans les Alpes....
Une PME vieillissante qui "bricole" d'anciennes machines, et fait des "risquettes" à la législation pour accélérer sa production, et ces mots magiques de productivité/ rentabilité...
Heureusement pour elle, le savoir-faire, nécessaire à ce genre de métallurgie de précision, fait que la mondialisation de cette production ne l'a pas encore trop atteinte...
Mais que les financiers eux veillent, et que des fonds d'investissements guettent cette proie industrielle comme des aigles prêts à fondre sur leur victime...
Tous les prétextes vont être bons pour commencer à "dégraisser" les effectifs de l'Entreprise dont la sauvegarde de l'emploi a été jusqu'alors le souci prépondérant....
Des employés vont se liguer eux-même en investisseurs et reprendre leur PME, mais la chasse au Dahu ne va pas se dérouler sans embûches : le monde de la finance est un panier de crabes !
On se croirait revenu à l'époque du Dieu Tapie, lequel, tapi effectivement en embuscade, guettait la reprise d'entreprises en difficultés pour le franc symbolique ! Se chargeant de les rentabiliser avec l'accord (et le financement) des édiles locaux... La plupart des repreneurs était surtout intéressés par l'élimination d'un concurrent et la reprise de son portefeuille de clients...
Le thème de ce film est donc rebattu, trop usé pour passionner... Pire; il refoulera nombre de spectateurs ayant vécu le triste privilège du licenciement pour cause économique, ou autre, et le démantèlement humain de ce drame....
Pour mieux comprendre ce projet peu attractif sur le plan commercial, il faut se pencher sur le parcours professionnel de Gilles Perret (1968/---) réalisateur, scénariste et documentariste... dont l'année de naissance était déjà en elle-même..."un évènement" ! (Les évènements de mai/ juin de cette année-là où la France avait frisé la guerre civile....)
Né à Mieussy dans les Alpes, Il est tombé tout petit dans la marmite de la potion magique de la CGT : son père militait dans l'organisation syndicale (plutôt de gauche) défendant les ouvriers...
Après des études d'ingénierie à Clermont-Ferrand, il a même monté et réparé des machines-outils dans l'usine qu'il nous montre dans ce film...
En 1999, il se tourne vers le documentaire filmé, notamment en Haute-Savoie, confrontée (entre autres...) à des problèmes socio-économiques...
Sur le petit écran, on risque voir plutôt Perret du côté des "gilets jaunes" ....que du MEDEF...
Aux côtés de Ruffin député, il retracera l'évocation de la précarité de certains métiers : "Debout les femmes" (2021)
"Reprise en main" constitue la vingt-deuxième de ses vingt-quatre réalisations et marque un tournant dans ses sujets abordés, puisqu'il quitte le thème documentaire pour une aventure-fiction, mais si peu... Changement d'équipes et de style de tournage, direction d'acteurs...
Un tournant pas évident et ça se sent par le caractère brouillon de cette œuvre...
Que de plans inutiles semblant là pour meubler : le côté touristique montagneux fait carte postale voire publicitaire et n'a rien à voir avec le récit... Le côté long et laborieux de cette histoire est pénible et à contrario, des faits importants passent à la trappe : l'ouvrier à a main broyée semble un fait divers banal : pas de police, d'inspecteur du travail, de CHSCT... même s'il n'y a plus de syndicalistes... Bien étrange alors qu'il y aura ITT et invalidité... On semble aussi tenir bien des réunions confidentielles dans les bistrots de la vallée de l'Arve !
Alors même que la bière y semble bien plate pour une région pleine de reliefs : pas de trace de mousse ! Serait-ce le même verre durant plusieurs prises de vues ?
Même "amateurisme" dans le scénario où trop d'intervenants, à en rajouter, ont nui à son authenticité, sa personnalité... Perret devrait se détourner du côté album de famille et des dernières vacances de ses clichés personnels pour laisser fureter son imagination plus avant.
Même balbutiement chez Constance Dumontoy dont les choix ne sont pas les meilleurs...
J'ai par contre apprécié la superbe interprétation de Samuel Churin qui nous compose un PDG froid et réaliste, plus vrai que nature... Ainsi que de Grégory Montel pour sa "gueule de cinéma" et le réalisme persuasif qu'il insuffle à son personnage...
Un galop d'essai montrant l'attachement trop important de ses souvenirs et habitudes documentaristes de Gilles Perret, alors qu'un monde nouveau de fiction s'offrait à lui...
En outre, un ouvrier qui se découvre PDG de PME me laisse plutôt dubitatif : que d'audacieux ont ainsi tenté aveuglément leur chance avant d'échouer misérablement et plus déconfits qu'à tout jamais : les exemples pullulent ! Qu'en a-t-il été ici ? Pas d'épilogue...
Les fonds d'investissement ne vont pas se ruer sur l'exploitation de ce film : 94 572 spectateurs en salles lors de sa sortie... La télé déjà au secours du financement ?
Ce film m'a finalement laissé de glace...
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TF1 SF le 05.08.2024-