Passons sur le palmarès cannois qui a ignoré ce film, après tout des films aussi essentiels que Ma Loute et Toni Erdmann sont passés à la trappe, alors c'est pas un OVNI tout bancal d'un des cinéastes français les plus singuliers qui allait récolter les honneurs...
Et pourtant, quelle intelligence, quelle inventivité dans ce nouveau long-métrage de Guiraudie ! Après la parenthèse enchantée de l'Inconnu du lac, son seul film à ce jour qui pourrait presque passer pour un film "normal" et se fondre dans la masse, son film qui fait le plus "propre" de tous (et pourtant, quel chaos, quelle audace !), le voilà de retour en terre bien connue. Dès le début on est dans le bain : paysages majestueux semi désertiques (les Causses, la Lozère), relations étranges entre les personnages, tendus par un désir inhabituel sur nos écrans (et je ne parle pas de l'homosexualité, mais plus de l'âge et du sentiment pansexuel que dégage le film nonchalamment)... Le premier plan est hypnotique à vous en donner mal au crâne avec ses ajustements de mise au point et sa caméra embarquée. Un vieux écoute de la musique psyché à la campagne, un p'tit jeune se fait accoster par un cinéaste maladroit et un brin libidineux peut-être.
Très vite, le temps ne compte plus, seul l'espace règne. Plateaux montagneux, troupeaux de brebis. Une jeune bergère se méfie du loup, mais elle en voit vite un autre. Esquisse de roman pastoral, sous-texte biblique goguenard (elle s'appelle Marie). Le fil du récit est ténu, c'est une errance sentimentale entre la Bretagne (Brest), ses sans-abris, autres grands absents des écrans français, et la campagne, celle de la femme aimée, de l'origine du monde, filmée avec simplicité et sans détours, jusqu'à un bloc naturaliste difficile à digérer quand on ne s'y attend pas.
Le sexe aussi est filmé naturellement. Les jolies fesses rebondies de Léo, la vulve paisible de Marie, leurs ébats tendres, leurs caresses, le désir de ces hommes de tous âges entre eux. La gaule d'un adolescent. Rien d'obscène, c'est à la rigueur assez marrant parce que parfaitement rare et incongru - mais pas chez Guiraudie. Les paysages, on les a parcourus dans Du soleil pour les gueux, les relations fluctuantes entre personnages d'âges divers, on les a vécues dans Pas de repos pour les braves, Ce vieux rêve qui bouge, Le Roi de l'évasion.
Mais Rester Vertical est plus grave, plus mélancolique que ces films, bien sûr il y a des moments drôles, quelques répliques fameuses et la meilleure Une de journal de l'univers, mais à mesure que le récit prend une tournure rocambolesque et de moins en moins réaliste (comme dans son premier film, Pas de repos pour les braves, cruellement sous estimé), on comprend l'importance suprême du mythe chez le cinéaste. Le loup, l'agneau, la bergère, le nourrisson. Avec des archétypes et peu de personnages qu'il fait gaiement marivauder, Guiraudie met une nouvelle fois, et de façon moins appuyée sans doute, le récit de son propre récit en abyme. Sans doute y a-t-il aussi mis un peu trop de lui, dans ce récit, dans ces personnages surtout. Pour l'avoir côtoyé, interviewé et partagé avec lui ses goûts musicaux (dans une émission de radio que vous pouvez écouter ici https://blogs.radiocanut.org/leptitbazar/2016/03/06/emission-n82-6-mars-2016-alain-guiraudie/ ), on sent vraiment sa personnalité dans divers des traits du film, mais ce n'est pas vraiment ce qui compte le plus, bien que cela joue à la mélancolie crépusculaire que dégage Rester Vertical.
Non, c'est aussi un joli pavé dans la mare, un film foncièrement différent. Un film où l'on aborde le sujet sensible de la réintroduction du loup. Un film où l'on explore des modèles familiaux étranges, inversés, invertis. Un film où le désir circule inlassablement et naturellement entre ses personnages, quels qu'ils soient. Un film où Wall of Death, groupe de néo psyché français, devient Pink Floyd. Un film où l'on prend le temps de parler aux pauvres et aux démunis, mais où la vie reste malgré tout cruelle avec nous. Un film qui confirme que Guiraudie est très doué pour conclure. Un film ou une fable; un film où l'on doit vivre parmi les loups, survivre, Rester Vertical en somme, malgré la tentation incessante de s'allonger (avec quelqu'un, son amant, son fils, son père).
Un putain de film libre quoi.