L'Homme qui en savait trop
Cette histoire, on en a tous entendu parler : Jeffrey Wigand, ex directeur du département recherche et développement de B&W (troisième plus grand fabricant de cigarettes américain), décide, après son éviction, de s'attaquer à son ancienne entreprise pour dénoncer les effets renforcés lié à la manipulation de la nicotine. On appelle ça un lanceur d'alerte, un homme, souvent ordinaire, qui s'oppose aux plus gros lobbys en vue d'en dénoncer les méthodes sournoises et malhonnêtes. Pas étonnant que Michael Mann, brillant cinéaste tout juste révélé par Heat, ait jeté son dévolu sur ce récit au caractère cinématographique certains. La tentation d'en faire un film d'enquête aurait été grande, il aurait pu façonner ça en un polar sur-documenté ou encore en un brûlot à charge à destination des méchants lobbys cigarettiers. Non, Révélations est une œuvre qui se concentre sur l'homme, sur sa résistance aux pressions, aux événements qui le dépassent. Chez Mann ça donne un thriller parano, obscur, où tout le monde nous veut du mal. Ce n'est jamais explicité, ou très rarement, même si la menace est réelle. La photographie renforce ce sentiment, toujours dans le bleuté nuptiale, dans le sombre angoissant.
Le thriller va comme un gant au réalisateur, son habileté à la suggestion par l'image est remarquable. Son utilisation de la musique aussi, façon course contre la montre, le temps est imparti. L'allégorie du temps se veut d'ailleurs flagrante, Révélations c'est la lutte psychologique permanente d'un homme qui voit le temps défiler, ses espoirs aussi. Russel Crow l'incarne de manière stupéfiante, l'acteur est épatant en individu désespéré qui mise sa vie et sa famille. Il n'est pas seul car le film, au delà de la maîtrise de sa mise en scène, repose essentiellement sur les comédiens qui la compose : Crow, Pacino, Plummer, autant de grands aux services d'un récit à l'apparence manichéenne mais au rendu prenant, haletant, qui n'oublie pas son évident caractère politique mettant à mal les connivences entre pouvoir financier et pouvoir médiatique. Le réalisateur ne fait aucunes concessions, son œuvre est brute, profonde, très bien mise en forme, longue mais jamais ennuyeuse, pessimiste mais pas nihiliste. Du grand art.