[Critique initialement publiée sur CinemaClubFR]
L’industrie cinématographique connaît actuellement un tournant majeur, possiblement l’un des plus importants de son histoire. Depuis les terribles révélations entourant le producteur Harvey Weinstein en octobre dernier, la parole des femmes (autrefois ignorée voire même étouffée) a pu enfin se libérer et grâce à des mouvements forts comme #MeToo ou #TimesUp, elle a même pu se transformer en force. Certains masques sont tombés, parfois avec violence, mais ce qui est désormais certain, c’est que le monde du cinéma ne sera plus jamais le même après cela.
C’est dans ce contexte particulièrement trouble mais néanmoins rempli d’espoir que débarque Revenge. Premier long-métrage de Coralie Fargeat, Revenge est né d’une volonté de proposer quelque chose de neuf et percutant dans le paysage audiovisuel français, tout en insufflant une réactualisation nettement plus féministe au genre codifié qu’est le revenge movie. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est arrivé à point nommé.
Avant même sa sortie, de nombreuses personnes ont eu la fâcheuse manie de comparer Revenge à Grave, notamment par le fait qu’il s’agisse également d’un film de genre français réalisé par une femme et mettant en scène un personnage féminin fort. Mais cette comparaison (en plus d’être terriblement réductrice) s’avère être fausse tant les deux œuvres n’ont absolument rien en commun. Là où l’approche de Julia Ducournau tend nettement plus vers le drame, Coralie Fargeat a au contraire décidé de plonger tête la première dans une esthétique pop, gore et pulp complètement assumée, ce qui donne justement à son film toute sa singularité.
Car malgré son sujet de base plus que sérieux (une jeune femme cherchant à se venger après avoir été violée et laissée pour morte), Revenge est en réalité un pur défouloir brutal et décomplexé, au sens le plus positif au terme. Tout est ici mis en oeuvre pour nous plonger dans un univers fantasmagorique où décor paradisiaque et cruauté du monde réel s’entremêlent pour offrir une chasse à l’homme remplie de rebondissements (sublimée par la magnifique photographie de Robrecht Heyvaert). Ainsi, et ce durant 1h40, nous allons suivre le parcours et surtout l’évolution (voire la métamorphose) de Jen, l’héroïne principale, passant d’une jeune lolita insouciante à une guerrière badass n’hésitant pas à en venir aux armes.
C’est la très talentueuse Matilda Lutz (déjà vue dans Rings) qui incarne ce personnage aux multiples facettes et qui le fait à merveille. Sa métamorphose transparaît véritablement à l’écran, tout en laissant un maximum de naturel lors de certains instants, notamment dans la scène de la grotte, renforçant notre immersion dans l’action. Son interprétation est par ailleurs sous-lignée par la mise en scène très riche du film, qui utilise énormément de symboliques (que ce soit l’usage intensif d’inserts ou bien de détails sonores) et n’hésite pas à en faire de trop pour mieux faire éclater son univers ainsi que son message. Et c’est très précisément cet aspect qui risque de diviser son public.
Nous le disions plus tôt, Revenge est un film qui va volontairement et consciemment dans l’outrance, multipliant les scènes absurdes et le revendiquant très clairement. Le début du film peut d’ailleurs faire réagir de nombreuses personnes négativement, puisque le personnage de Jen est montrée de manière hyper-sexualisante mais une fois sa « résurrection » amorcée, la réalisatrice prend un contre-pied total et va plutôt mettre l’accent sur un autre excès, celui du gore. C’est justement à ce moment précis que l’on comprend la démarche outrancière du long-métrage et que l’on décide d’y adhérer ou non. Beaucoup peuvent voir cela comme une tentative pour dissimuler certaines faiblesses d’écriture (notamment des personnages masculins) ou encore le sur-jeu excessif de certains comédiens, tandis que les autres vont à l’inverse réussir à passer au dessus de ces quelques détails pour finalement s’immerger pleinement dans les scènes déjantées et imprévisibles que nous réserve le film dans sa seconde partie.
Avec Revenge, Coralie Fargeat vient de frapper un gros coup et a su bousculer les codes et les attentes du cinéma de genre français comme il se doit. Jouant habilement avec un univers over-the-top sans jamais franchir la limite du ridicule, on a ici affaire à une oeuvre unique en son genre, inventive et surtout débordant de générosité. Si l’on peut certes reprocher quelques petites maladresses de premier film, comme un final qui tire légèrement trop en longueur, cela n’enlève en rien la substance cathartique de son histoire, qui nous montre une femme forte et badass se débarrassant de ses agresseurs d’une manière toute aussi forte et badass. Et en ce moment, on a cruellement besoin d’histoires comme celle-ci.