Cassandre a dû rêver, toute petite, comme Dutronc. Rêver d’être une hôtesse de l’air, toute sa vie. Rêver de voir le bas d’en haut, d’avoir des talons hauts. Pour les fesses en l’air, à voir. Cassandre est donc hôtesse de l’air dans une compagnie low cost. Son rêve, là tout de suite, c’est d’être embauchée chez Emirates, la crème de la crème de la compagnie aérienne. Le reste, elle s’en tamponne. Elle est sans attaches, va de mec en mec qu’elle rencontre sur Tinder, s’affiche sur Instagram, s’amuse tout le temps, se croit heureuse comme ça, archétype presque d’une jeunesse qui tâtonne, se demande. Paraît fuir sa famille aussi, surtout depuis que sa mère est morte.
Alors quand ça commence à aller mal au boulot, Cassandre redescend sur terre. Se prend un bon retour de bâton existentiel. Revient vers les siens. S’interroge. Fume. Bois. Dors. Il y a deux parties, trop évidentes, il y a deux films, qui s’harmonisent mal, dans Rien à foutre. D’abord le regard sans fard sur le quotidien et les conditions de travail du personnel aérien, qui plus est d’une compagnie low cost : en décalage permanent, la rémunération pas terrible, la flexibilité, la pression, le paraître, les petites vexations, les hôtels, le rendement maximum exigé en vendant boissons, parfums et autres babioles. Bienvenue à bord d’une vie en équilibre, ubérisée.
Ensuite l’étude plus resserré sur une famille en deuil tentant de faire face, comme elle peut, au manque, maladroitement parfois, avec le cœur toujours. C’est là que Cassandre doit renouer les liens avec sa sœur et son père qu’elle a trop longtemps, qu’elle a délibérément esquivés, et faire le point sur ses attentes et ses possibles ; simplement, savoir où elle en est. La première partie, par son énergie, sa justesse de ton et même son humour (voir la scène où Cassandre doit sourire pendant trente secondes, mais se laisse submerger par ses émotions qu’on lui demande de mettre de côté), sait nous embarquer dans l’ordinaire pas si ordinaire de ses femmes et ses hommes coincés entre nuages et tarmac.
Et de Cassandre en particulier en quête d’avenir incertain, avec la crise sanitaire en embuscade brouillant davantage son rapport aux autres et au monde, mis à distance alors qu’elle y cherche sa place. La deuxième en revanche peine à nous passionner, ne parvenant pas à nourrir les enjeux dramatiques enclenchés autrement qu’en filmant des scènes fastidieuses où il ne se pas grand-chose (perdant alors de l’acuité si revigorante de la première partie), plombées par des dialogues insignifiants ou s’éternisant sans que l’on comprenne bien pourquoi. Adèle Exarchopoulos a beau sortir le grand jeu, ça ne suffit pas à faire abstraction du caractère bancal du film, Emmanuel Marre et Julie Lecoustre échouant clairement à connecter le social à l’intime.
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