Yukio Mishima est sans doute, pour nous Occidentaux, le plus grand écrivain japonais du XXe siècle. Ou au moins le plus connu. Le plus fascinant. Celui qui représente jusqu'à la caricature le stéréotype - qui n'est jamais loin de la vérité profonde, on le sait - de l'hystérie nippone : à la fois traditionnel (impérialiste frisant le fasciste) et rebelle "punk" (culturiste homoérotique clamant sa fascination pour la France - il faut voir l'incroyable interview en bonus sur le DVD de "Yûkoku" pour le croire !), soit un vrai cas pour la psychanalyse. Mais un sacré écrivain !


Mishima a compris que, à l'ère de la naissance de l'Image-reine, pour fixer définitivement son devenir-icône, il lui fallait aussi se filmer, et mettre en scène dans son décorum le plus classique - une scène de théâtre No - ses fantasmes les plus "scandaleux" : le voici donc, lui et sa très belle épouse, reproduisant un "incident" réel de l'histoire japonaise, mais surtout préparant une future sortie de scène, quelques années plus tard. Face à un conflit moral insoluble, un militaire choisit le suicide par seppuku, et sa femme, par amour, le suit dans la mort. Ils s'aiment, ils baisent, il s'éventre, elle se poignarde. C'est tout. Noir et Blanc. Muet. Mais avec des torrents assez désagréables - et déplacés, sauf idéologiquement - de Wagner par là dessus.


"Patriotisme" (le vrai titre du film) est-il une grande oeuvre, au niveau des livres de Mishima ? Sûrement pas. Entre le primitivisme provocateur de "Un Chien Andalou" - sang noir et tripes gluantes - et la modernité érotique contemporaine d'un Oshima, Mishima copie tout, veut tout. Le résultat est certes fascinant, très beau par instants aussi, mais ne dépasse jamais le concept de départ, ne devient jamais "du Cinéma"...


Pourtant, il s'agit sans nul doute d'un travail essentiel à la compréhension d'un artiste hors norme, "bigger than life" : impossible de ne pas voir dans ce visage fermé, fanatique, une casquette éternellement vissée sur la tête (sauf lors de la scène très sensuelle de sexe) la folie d'un artiste cherchant par tous les moyens à exister au delà de ces codes absurdes d'une société qu'il vénère et vomit à la fois.


Cet au-delà, souhaitons-lui de l'avoir trouvé quand il enfoncera enfin "pour de vrai" son sabre glacé dans son abdomen musclé mais si fragile. Car cette fois-là, ce n'était plus du Cinéma...


[Critique écrite en 2019]

EricDebarnot
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le 6 janv. 2019

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Eric BBYoda

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