L’écrivain Mishima se suicidant au sabre, quelque part à l’embouchure des années 70. Cette image ne fait-elle pas partie des rares qui viennent rapidement à l’esprit lorsque l’on évoque ici-bas l’archipel japonais ? Les curieux auront une idée du pourquoi et du comment. Les amateurs auront lu Pavillon d’or, Après le banquet ou encore Le Soleil et l’Acier. Les téméraires seront venus à bout de son mythologique La Mer de la fertilité et auront pris l’entière mesure de son génie littéraire. Les cinéphiles irrécupérables sauront qu’il a joué dans quelques films (dont Karakkaze yarô, de Masumura Yazuzo), l’homme étant un dévoreur polyvalent – notamment sur la scène théâtrale. Mais qui savait qu’il avait réalisé un film en 1965 ? Miraculeusement repêché, le film sort ce mois-ci en DVD aux éditions Montparnasse (dont on salue au passage le travail). Son sujet ? Le seppuku (ou hara-kiri en langue moins soutenue)…
Incident du 26 février 1936 ("ni ni roku jiken"). Dans un Japon où le pire est encore évitable, la division Konoe, faction ultra-nationaliste de l’armée japonaise, échoue dans sa tentative de coup d’état après avoir réussi à assassiner une poignée de ministres. Le jeune lieutenant Takeyama se voit chargé de participer à la répression – sanglante – des rebelles… dont il approuve les actions. Pour ne pas se trahir, il annonce à sa femme qu’il va mettre fin à ses jours. Par amour pour son mari, cette dernière décide de le suivre. Enfin, tout cela, le spectateur ne fait que l’augurer : Yûkoku est un film muet d’une demi-heure "composé" sur l’opéra de Wagner Tristan & Iseult. Bienvenue dans le cinéma de Mishima.
Patriotisme. La toile de fond du présent film, et du livre à la narration rigoureusement identique qu’il avait écrit sur le fameux "incident" qui le marqua à l’entrée de l’adolescence… la toile de fond de toute sa relativement courte vie ? Se plonger dans le cinéma de Mishima, en raison du caractère unique de ce somptueux Yûkoku ("patriotisme"…), revient à se plonger dans la mort volontaire de Mishima. Et donc, inévitablement, dans les plus ou moins grandes lignes des raisons qui ont mené à ce baissé de rideau prématuré.
Wagner est là pour le rappeler : à défaut d'envahir la Pologne (2), Mishima étale sur la pellicule, et dans son jeu monolithique, sa nostalgie romantique de l'impérialisme, fondatrice de son œuvre littéraire. Le sang noir et les larmes, la noble transpiration mêlée au sang patriote, le tout tacheté, la salive exprimant le dernier round, et Wagner continuant en plan large des temps anciens : le masochisme romantique de ses livres s'inscrit dans la dignité vétuste des idéogrammes parcourant le film. Dans une impudeur moderne digne de celle d'Oshima ou de Masumura, il met en scène la femme (Tsuruoka Yoshiko dans son unique rôle), les cheveux défaits, débraillés, imbriquée dans l’homme à la détermination tragique, et leurs corps élémentaires s’unissant dans une puissante économie d’émotion à mesure qu’approche la Mort précipitamment invoquée.
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