Un film noir dans la plaine à riz de Verceil
J'ai beaucoup aimé "Riz amer", même si j'avais lu avant des critiques peu enthousiastes.
Ce n'est pas le film auquel je m'attendais, cela dit. Pas de fausse honte : j'avoue avoir regardé le film parce que j'étais persuadé qu'il faisait partie de la filmo de Gina (et si c'est en fait Silvana Mangano, de côté-là, je n'ai pas été déçu). Mais je pensais avoir à faire à un film réaliste sur la dure condition sociale des ouvrières des rizières de la plaine du Pô. J'ai en effet trouvé beaucoup d'éléments réalistes, mais au fond la critique sociale cède le pas, dans la deuxième partie aux thématiques classiques du film noir : dilemmes moraux, glamour stérile de la violence, mirage de l'argent facile, volonté de vivre à 100%, quitte à en mourir, et bien sûr femme fatale.
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Un gangster, Walter (Gassman) vient de voler un bracelet de prix et le confie à sa compagne, Francesca (Doris Dowling), qui pour échapper à la police et aux autres gangsters se réfugie parmi les ouvrières du riz de Verceil. Le collier est remarqué et volé par la sulfureuse Silvana (Mangano), dont un sergent, Marco (Ralf Vallone) s'est amouraché. Mais le collier se révèle un faux, et Walter monte un nouveau projet : voler le riz qui constitue une partie de la paye de ces pauvres ouvrières. Il enjôle Silvana en lui offrant le collier. Francesca et Marco finissent par s'interposer : dénouement dans une chambre froide de boucherie. Silvana se suicide.
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Si le début, donc, fait penser à un film réaliste social du type "les raisins de la colère" ou "Germinal", rapidement l'environnement de la rizière et de la caserne dans laquelle les filles sont mal logées ne deviennent que des décors et la source de nombreux rebondissements moraux. Les mouvements de grue sont élégants et efficace, sans être non plus géniaux. Le talent des acteurs est réel : j'étais étonné de voir Gassman si bien camper un jeune vaurien ténébreux. Doris Dowling me convainquait moins au départ, je trouvais que son jeu assez dramatique s'insérait mal dans l'environnement de la rizière, mais au fur et à mesure que la structure du film noir revient, on comprend mieux ce choix (au départ je pensais qu'elle misait sur l'intensité du jeu pour compenser les formes sulfureuses de Mangano). Pour être un film social-réaliste, "Riz amer" aurait dû montrer les patrons et leurs agents. On voit bien quelques gagne-petit essayer de se nourrir sur le travail des filles, mais c'est assez peu développé, et cela sert surtout à montrer la dureté de l'environnement dans lequel évolue Francesca.
J'émettrais tout de même une critique à ce sujet. Ce film marche clairement dans les pas du cinéma hollywoodien : Marco est un double de Burt Lancaster, Silvana de Rita Hayworth, Walter de Paul Muny. Et le film souffre peut-être un peu que la photogénie de Mangano soit aussi mise en avant : clairement, elle bénéficie dans chaque scène d'un éclairage différent des autres acteurs afin que sa peau parfaite soit mise en valeur au mieux, et c'est un peu injuste. Dans le même ordre d'idée, les personnages secondaires apparaissent dans des saynettes qui ont presque une simple valeur d'insert. Dommage. J'aime bien les personnages comme le photographe.
Restent nombre de scènes mémorables : tous les numéros de danse de Mangano, qui éclipseraient presque celui de "Gilda". La scène du combat de chansons, au début, fort bien trouvée. La scène où Walter frappe/viole Silvana. Le dénouement final dans la chambre froide est bourré de bonnes idées : les hommes sont tous deux blessés, c'est aux femmes de prendre les armes ; Walter se cache derrière des carcasses que Marco fait descendre ; il meurt en plantant involontairement sa main dans un croc de boucher auquel il reste suspendu ; le suicide de Silvana, avec la montée des escaliers, fait un peu penser à la scène du clocher de "Vertigo". Ou encore ce trait qui rapproche inconsciemment Walter et Silvana : tous deux mâchent du chewing gum d'un air détaché.
"Riz amer" est un faux film social et un vrai film noir, irradié par la sensualité torride de Silvana Mangano.