Sublime contemplation du cinéma par lui-même, le film de Monte Hellman est empreint d'une mélancolie passionnée dont ressort une vive émotion essentielle : le cinéma lui a coûté la vie.

Road To Nowhere possède une intrigue inénarrable et tortueuse qu'il serait vain de résumer autrement qu'en ces termes : une actrice joue deux rôles, l'un dans le film d'un jeune cinéaste, Mitchell Haven (alter-ego et anagramme de Monte Hellman), l'autre dans une obscure affaire de détournement de fonds. Cette actrice c'est Laurel Graham. Elle joue le rôle de Velma Duran. Et ces deux rôles sont interprétés par Shannyn Sossamon. Vous suivez ?
Le film et le cinéaste sont tous deux amoureux de l'actrice, Mitchell Haven de Laurel Graham, et la caméra – à l'évidence – de Shannyn Sossamon. Ici, la caméra est d'ailleurs un appareil photo (le Canon 5D Mark II), transposition contemporaine d'un cinéma artisanal, débrouillard et fauché.

Monte Hellman fait de l'arme du crime un simple attribut de mise en scène qu'il serait vain de dévoiler ici, sous peine d'éventer la métaphore principale du film. Considéré comme le fantasme, l'œuvre de Mitchell Haven est sans cesse vécue à rebours alors que les niveaux de réalité / du film / d'imagination sont difficiles à distinguer. La narration est d'ailleurs vite abandonnée par les deux cinéastes (celui du film et Monte Hellman) au profit d'un objet de culte voué tout entier à son actrice, qui phagocyte entièrement le rythme du long-métrage. Là où les niveaux de la mise en abîme s'enchaînent à la limite de la lisibilité, il y a de longues respirations, en plan séquence, sur Shannyn Sossamon / Laurel Graham / Velma Duran qui hypnotisent au moins autant qu'elles annulent la dramaturgie.


Autant dire que Road To Nowhere est un cinéma perdu, classique sans être daté, moderne sans être contemporain, sur une route sinueuse, tout entier lancé à la poursuite d'une chimère utopique. Monte Hellman a reçu un Lion d'Or spécial lors du dernier Festival de Venise, étonnante récompense (avec le sous-titre "contribution au cinéma mondial") qui lui est attribuée pour son film le plus rêveur, le plus désenchanté aussi, porté par une amertume sourde. Lui qui clamait à Venise être "un intellectuel anti-intellectuel" s'est converti à un cinéma esthétique (la photographie de Joseph Civit est splendide) où le fond ne prend sens que dans la globalité du film, ici une fin sur un zoom très lent et infiniment élégant sur les lèvres entrouvertes de Shannyn Sossamon.

Cette dernière est donc le sujet de désir du film, lumineuse et enjouée, imperturbable entre les prises quand elle est Velma Duran, d'une grâce inouïe en tant que Laurel Graham. D'une beauté folle, chacun de ses gros plans est une balle dans le cœur tirée par un cinéaste en colère de 79 ans, ressuscité au cinéma par un amour infini.
Meo
8
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le 30 avr. 2011

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