Ceci est une révolution... ou pas.
En 1987, sortait un film au titre improbable: "Robocop". Sur un canevas au premier abord très con, le cinéaste hollandais Paul Verhoeven accouchait d'une satire incroyablement virulente sur les années Reagan, doublée d'un actionner avec de bonnes grosses couilles bien velues. Le genre à vous marquer une génération entière. Sortait trois ans plus tard une suite mal aimée mais pourtant sympathique, qui avait surtout le mérite de conserver l'humour noir et la violence graphique de son modèle. Après une seconde séquelle de triste mémoire, complètement infantile, le full metal poulet déserta nos salles de cinéma, se contentant de squatter différents médias pour un résultat pas toujours très bandant. Puis vint cette idée saugrenue de remake, histoire de violer une nouvelle fois une franchise adorée du public.
Confié dans un premier temps à Darren Aronofsky, puis laissé entre les mains du brésilien José Padilha, remarqué pour son diptyque "Tropa de elite", le projet allait subir un lynchage médiatique à nul autre pareil, se faisant traîner dans la boue par une horde de fans bien vénères (dont je fais partie) à chaque nouvelle photo postée sur la toile. Les déclarations brûlantes d'un Padhila décrivant son calvaire sur le tournage n'arrangeront rien, condamnant ce nouveau "Robocop" au titre de ratage artistique avant même sa sortie en salles.
Loin du pur produit bassement mercantile redouté, "Robocop" version Padhila n'est peut-être pas un bon film, mais n'est pas non plus une bouse infâme indigne du regard des cinéphiles, proposant l'air de rien une poignée de bonnes idées. Reprenant grosso merdo la trame du film originel sans la singer et en l'actualisant un minimum, le film esquisse des thèmes intéressants, s'oriente vers des pistes prometteuses, allant même jusqu'à pointer du doigt l'interventionnisme américain ou des médias d'informations pour le moins partisans.
Malgré les nombreux conflits avec les studios, on sent que le cinéaste a eu l'occasion de garder un pied dans son univers, de continuer son exploration d'une société gangrénée par la corruption, sujet au coeur de sa courte filmographie. Malheureusement, pour une idée séduisante, "Robocop" multiplie en retour les choix malheureux et les pétards mouillées.
La critique d'un système ultra libéral au capitalisme assoiffé de sang, percutante chez Verhoeven, se dégonfle ici presque à chaque fois, n'allant jamais assez loin ou étant chaque fois tuée dans l'oeuf, à l'image de son prologue prometteur (l'intervention au Moyen-Orient, dont je parlais plus haut) mais finalement bien inoffensif par rapport au message qu'il veut faire passer. Pire, à force de maladresses dans le propos, le film se tire lui-même une balle dans le pied, en ce qui concerne notamment la mise en abime que semble mettre en place Padhila par le biais du personnage incarné par Michael Keaton, sorte de Steve Jobs ne pensant qu'au profit et convaincu de son génie, rappelant étrangement un producteur nous vendant son film. La phrase sentencieuse qu'il prononce ("Le public ne sait pas ce qu'il veut voir, c'est à nous de lui montrer."), délicieusement cynique et résumant bien le point de vue de ce genre de costard-cravate, sonne d'une manière un brin hypocrite dans la bouche d'un film faisant son beurre sur la nostalgie de son audience.
Même constat en ce qui concerne les libertés (courageuses) prises par les scénaristes et Padhila, et l'approche sensiblement différente concernant le chemin de croix du personnage d'Alex Murphy dont la mort, insoutenable et christique chez Verhoeven, est ici affreusement aseptisée. Rien ne fonctionne, qu'il s'agisse du design (l'armure fait davantage penser à Iron Man), des seconds rôles (Lewis change de sexe et devient un coéquipier dont on se contrefout royalement) ou même du nouvel angle scénaristique.
Au traitement volontairement outrancier d'un Verhoeven illustrant avec brio la fameuse question: les machines ont-elles une âme ?, Padhila répond par une approche plus humaine, faisant de son héros un être conscient de son état dès sa renaissance (là où dans la version de 1987, il ne retrouvait une partie de son humanité que progressivement), mettant la famille au premier plan contrairement au film originel. Un traitement pas plus mauvais qu'un autre, mais qui tombe tristement à plat et provoque paradoxalement beaucoup moins d'émotion que son modèle plus discret, la faute à une écriture catastrophique.
Bourré de bonnes intentions (comme quoi...) ainsi que d'idées sympas (le corps mutilé de Murphy, montré dans toute son horreur, fait forcément penser aux GI's blessés) et formellement correct (mise en scène soignée, effets spéciaux impeccables...) ce nouveau "Robocop" aurait pu être un bon remake et étonner son monde, s'il n'avait peut-être pas croulé autant sous les concessions artistiques et s'il avait eu à sa disposition une plume plus efficace. Ne reste qu'une version lissée d'un monument de subversion, un produit loin d'être défectueux mais boiteux, dénué de la moindre violence graphique (PG-13 oblige), trop long et finalement inutile.