Rocco et ses frères marque un stade important dans la filmographie de Luchino Visconti, se réappropriant les codes du néo-réalisme italien pour livrer une épopée familiale tragique, sur une bande de frères tout juste immigrés à Milan. La structure du long-métrage, divisée de façon continue en adoptant les points de vue fraternels respectifs, est une perfection à elle seule, à la fois ancrée dans le style néo-réaliste tant elle s'acharne à multiplier la représentation de chaque condition individuelle pour former une prise de conscience collective. Chacun est ainsi responsable du sort de la famille, la vie est une fragilité avec laquelle on ne peut à la fois enflammer la cigarette, et revêtir les gants pour se protéger.
Ces rapports familiaux, déjà aperçus dans des films comme Bellissima ou Senso sont particulièrement bouleversants, donnant lieu à des performances hors-normes (Alain Delon, comme Renato Salvatori). La mise en scène, d'une fluidité exemplaire, prend du recul sur les environnements extérieurs, quitte à filmer les jeunes gambader de quartiers en quartiers, tout en se perdant dans ses abysses. Comme sentimentalement désarçonnés, ces jeunes garçons souffrent en réalité de ne pas avoir de père, une figure que pourrait représenter Vincenzo, tout juste marié et émancipé du carcan familial.
Alors, le noir et blanc du crépuscule renvoie à la plus belle des tragédies, des frères se soutenant autant qu'ils ne puissent penser à leur intérêt personnel, parce qu'au fond, rien ne leur permet de le faire. Protéger la famille coûte que coûte, de jobs en jobs, de femme en femme, et ne pas s'enfermer ailleurs, revenir au cocon originel. C'est aussi l'histoire de la condition de l'immigré, que conte Visconti.
Un pays que l'on découvre, sa culture et ses femmes, mais un foyer auquel les frères resteront à jamais attachés. Le plus jeune, Luca, en est le premier concerné. Un grand film social, aux performances inoubliables.