Après la mort du père,la famille Parondi débarque à Milan venant de Lucanie,région pauvre du sud de l'Italie.Il y a la mère et ses quatre fils qui rejoignent Vincenzo,l'aîné,déjà installé dans la capitale lombarde.Commence un parcours difficile fait d'appartements minables,de petits boulots et de pratique de la boxe qui verra l'ascension puis la chute de Simone et sa rivalité amoureuse avec son frère Rocco.Luchino Visconti est réputé pour ses grandes fresques historiques baroques, colorées et un poil ennuyeuses mais on oublie souvent qu'il fut un excellent représentant du courant néo-réaliste,ce dont il fait ici la démonstration en réalisant ce mélo social hardcore dont il est également le scénariste en compagnie d'auteurs du calibre de Suso Cecchi d'Amico ou Pasquale Festa Campanile,qui entamera en 63 une belle carrière de cinéaste.Cette coproduction franco-italienne est menée côté transalpin par la célèbre Titanus,référence de poids en matière de ciné rital vintage.Visconti livre une mise en scène d'une classe folle,enchaînant sans répit et avec fluidité des séquences assurant une narration d'une clarté absolue malgré le nombre important de personnages et d'interactions qu'ils entretiennent.Ses plans sont découpés au cordeau et alternent brillamment les prises de vue avec plans larges,moyens ou gros plans,ainsi que les mouvements d'appareils,plongées,contre-plongées, assorties d'une utilisation bluffante de la profondeur de champ,rendant justice à des décors variés qu'il maîtrise totalement car,originaire de Milan,il connaissait parfaitement le terrain,ce qui lui permet d'explorer aussi bien les quartiers populaires miséreux,les avenues opulentes du centre,les terrains vagues de la périphérie ou les salles de boxe grouillantes de populo.Il est en outre assisté de la magique photo noir et blanc du fabuleux Giuseppe Rotunno,avec qui il a beaucoup travaillé,et de la musique aigrelette de Nino Rota,complice attitré de Fellini.On nous présente ici une ville grise,froide,pluvieuse,parfois enneigée,ce qui est manifestement un choix délibéré des scénaristes parce qu'on est quand même en Italie et qu'il doit bien arriver qu'il fasse beau à Milan.Il s'agit évidemment de marquer le contraste avec le sud aride dont viennent les Parondi,afin de souligner leur déracinement.Le film se développe sur deux axes,l'analyse sociale et le drame familial,qui finissent par se mêler et se rejoindre.Visconti dénonce la misère du prolétariat et les inégalités existant entre nord et sud du pays.Cet aspect fonctionne sur plusieurs oppositions:ville et campagne,richesse et pauvreté,pureté et corruption.Les Parondi vont évoluer dans ce contexte nouveau pour eux et s'adapter à cet environnement urbain de différentes manières.On les voit trimer et entasser les petits boulots,et tenter de s'en sortir par le ring.La boxe,c'est le sport du prolo car il est plus enclin par nécessité à accepter de s'en prendre plein la gueule,et trois des frangins vont s'y essayer,avec des fortunes diverses.Au milieu de tout ça vont émerger deux caractères forts et totalement antagonistes,ceux de Simone et Rocco.Le premier progressera très vite par le sport et retombera tout aussi rapidement,révélant une personnalité faible,lâche,veule,jalouse et paresseuse qui le conduira au vol,au viol,puis pour finir au meurtre.Tout le contraire de Rocco,jeune homme droit et bien sous tout rapport qui malheureusement révèlera une propension excessive au laxisme vis-à-vis de son frère,devenant une sorte de saint laïc qui en pardonnant tout à Simone,même les pires offenses,même les crimes,et en le protégeant envers et contre tout,provoquera autant de dégâts que son ordure de frangin.Qualifier Rocco de saint est d'ailleurs une erreur car il est parfaitement conscient du mal que Simone fait aux aux autres et à lui-même,mais il choisit cependant de le couvrir avec un entêtement et une mansuétude aveugle totalement exaspérants,juste pour ne pas rompre leurs liens fraternels.D'ailleurs leur frère Ciro,le seul de la bande à avoir la tête sur les épaules,analyse parfaitement la situation et les renvoie dos à dos.Et puis il y a Nadia,la prostituée dont les deux hommes tombent amoureux,qui trouve sa rédemption avec le très moral Rocco avant qu'il ne la laisse choir pour complaire à Simone,ce qui scellera des destins tragiques.Le film souffre toutefois de sérieux défauts,à commencer par les caractères largement excessifs des deux principaux protagonistes,avec un Simone vraiment trop mauvais pour être vrai et un Rocco beaucoup trop bon pour être crédible.Autre problème,le ton grandiloquent de certaines scènes,qui frôle le comique.Visconti a parfois eu la main très lourde sur le lyrisme et la théâtralité,s'approchant de manière ridicule des frontières de la tragédie classique.C'est particulièrement décelable dans les scènes impliquant la mère,caricature de la mamma méditerranéenne extravertie et possessive,ce qui est aggravé par le jeu très chargé de la grecque Katina Paxinou,carrément imbuvable et précisément spécialisée dans le théâtre,section tragédie antique.Les autres acteurs sont par contre exceptionnels et le casting est étourdissant.Alain Delon est étonnant dans un registre de gentil illuminé qui ne lui est pas habituel,et il parvient à rendre supportable ce curé sans soutane qu'est Rocco.Renato Salvatori s'en donne à coeur-joie en salopard irrécupérable dégringolant inexorablement au long d'une existence gâchée,se montrant tellement bon qu'on n'a pas l'impression qu'il joue.Annie Girardot,sexy et gouailleuse,offre une très large palette d'émotions au gré des changements subis par son personnage.On voit peu Claudia Cardinale mais sa beauté lumineuse irradie l'écran,alors que Spyros Focas et Nino Castelnuovo font preuve d'une belle solidité.Et on a en prime un Roger Hanin charismatique en manager homo,un Paolo Stoppa hyper efficace en entraîneur gueulard et une Suzy Delair surprenante en cougar avant l'heure.Il est à noter qu'Annie Girardot et Renato Salvatori ont eu hors plateau de meilleurs rapports qu'à l'écran vu qu'ils se sont mariés en 62,mais il semblerait que la réalité ait rattrapé la fiction car il a plus tard été question de violences conjugales.