Le cinéma italien … J'ai toujours eu un ressenti particulier pour bien des films et bien des cinéastes italiens que ce soit dans la comédie ou dans le drame, quelle que soit l'époque. Souvent, ce qui me gêne dans ce cinéma, c'est le trop d'exubérance, le trop de comédie, le trop de paroles, le trop de larmes, le trop de … etc … Mais, comme toujours, il y a des exceptions et ces exceptions, atteignent, dans mon imaginaire, des sommets.
Par exemple, Visconti est un cinéaste dont j'ai vu la plupart des films. Et il n'y a guère que deux films qui trouvent vraiment grâce à mes yeux. "Le Guépard" et "Rocco et ses frères".
Je n'ai vu que deux fois "Rocco et ses frères" : la première fois dans un cinéma d'art et d'essai pendant mes études où j'avais été subjugué par l'histoire et certains personnages. Je viens donc de le revoir en DVD, remastérisé et dans sa version dite longue. La même magie a à nouveau opéré. Pratiquement trois heures sans lâcher l'écran, tellement la tension est forte et les personnages passionnants.
Le scénario est une fresque (néo-réaliste - pour faire savant) de l'émigration de la famille Parondi, une mère et quatre fils, de Lucanie vers Milan pour y rejoindre le fils ainé déjà installé. J'emploie à dessein le terme "émigration" car il y a un véritable antagonisme entre Italie du Sud, pauvre et déshéritée et l'Italie du Nord, industrielle et riche. Plus que de l'antagonisme, il y a un certain mépris des italiens du nord pour ces tribus de cul-terreux qui débarquent du sud (pour voler le pain des gens du nord).
Le second fils, Simone, semble réussir dans la boxe, le sport symbole de l'exploitation (violente) des corps. Mais il s'entiche d'une jeune prostituée, Nadia. Deux ans passent, Simone se révèle un homme faible et sombre dans le jeu, l'alcool. Après un temps de prison, Nadia tombe amoureuse de Rocco qui, lui aussi, deviendra boxeur. Les deux frères Simone et Rocco se déchirent pour la même femme…
Le scénario est très élaboré et permet une lecture fine et précise de chacun des éléments de cette fratrie qu'on voit évoluer peu à peu, qu'on voit se débattre dans les difficultés pour se loger, pour courir les petits boulots sous la férule de la mamma, prête à toutes les compromissions pour conserver l'unité des cinq frères comme les cinq doigts de la main. Et surtout préserver l'honneur de la famille face à l'omniprésent regard des voisins.
Pour résumer, "Rocco et ses frères" est une fresque sociale, donc, dans laquelle va s'immiscer le drame. Le scénario est habilement construit pour que le spectateur glisse lentement mais inéluctablement vers la tragédie alors qu'à chaque instant, la mise en scène laisse espérer que tout pourrait facilement s'arranger.
La mise en scène est d'une grande efficacité avec des mouvements de caméra pour souligner les scènes clés comme la scène de rupture sur le "Duomo di Milano" ou encore la scène de l'embuscade de Simone face au couple Nadia/Rocco.
La mamma est campée par une superbe Katina Paxinou, actrice grecque, grande spécialiste au théâtre des rôles d'Hécube et de Jocaste … Et on peut dire qu'il y a de l'Hécube dans cette matrone qui veille et rêve le meilleur pour ses fils. J'avais déjà aimé cette actrice dans le rôle (plus admirable, toutefois) de Pilar dans "Pour qui sonne le glas" de Sam Wood. Là, elle est dans le registre plus exubérant d'une mère que tous les malheurs de la Terre accablent, indulgente pour les siens et dont la bienveillance pour les autres a ses limites.
Nadia, la jeune prostituée est remarquablement interprétée par Annie Girardot qui met au service de son rôle une certaine gouaille qui cache une profonde détresse. Elle est vraiment excellente dans ce rôle infiniment pathétique de la femme sacrifiée au nom de la fratrie. Je ne dirai pas que c'est un de ses plus grands rôles car ses plus grands rôles sont tellement nombreux qu'on s'y perdrait.
Rocco est interprété par un surprenant Alain Delon. Surprenant car on a plutôt tendance à voir cet acteur dans des rôles de mâle dominant. Ici, il incarne l'abnégation et l'homme soumis définitivement aux liens familiaux. Il se sacrifiera pour sauver l'honneur de son frère Simone et dans le même mouvement, sacrifiera la femme qu'il aime. Là, on frôle le "trop de " que j'évoquais au début de ce texte. Mais le tragique de la situation l'emporte …
Le pire (façon de parler), c'est que Delon est parfaitement crédible dans son rôle !
Renato Salvatori incarne ce fameux frère Simone, impulsif et veule, jaloux et faible, saisissant dans ce rôle de héros déchu par qui le malheur arrive.
Mais n'oublions pas d'autres acteurs comme Roger Hanin dans le rôle ambigu d'un manager de boxe ou Suzy Delair dans le rôle d'une patronne de blanchisserie (qui ne dédaigne pas les hommes quand il s'en présente un) ou encore Claudia Cardinale dans un petit rôle qui montre déjà son caractère …
Au final, film qui possède la puissance de l'épopée à travers cette famille quittant et regrettant le soleil méridional pour les brouillards lombards sous lesquels prendra place un drame.
Mais entre la culture, maigre, des olives sur une terre pauvre et la possibilité d'une évolution sociale, le choix de la famille Parondi sera vite fait. Reste le rêve chimérique d'un retour au pays mais ça …